"Sortir l’agriculture des accords de libre-échange": appel d’agriculteurs touchés par la pauvreté

18% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté selon une étude de l’INSEE. Les éleveurs sont les plus touchés par cette précarité. La faute notamment aux accords de libre-échange, estime Tristan Arlaud, du syndicat Coordination rurale.
Sputnik

"On ne peut pas faire reposer sur le dos de l’agriculteur les choix économiques mondiaux. Si l’État considère que des villages vivent grâce à l’agriculture, notamment dans les zones défavorisées, il y a un vrai choix politique à faire."

Tristan Arlaud, membre de la Coordination rurale, un syndicat agricole, est résigné à la vue des résultats de l’enquête de l’INSEE publié le 11 octobre. Selon l’institut, les éleveurs sont les agriculteurs les plus mal lotis en France, avec "les revenus agricoles et le niveau de vie les plus faibles". Plus d’un quart d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.
Les agriculteurs ne sont néanmoins pas tous logés à la même enseigne.

La viande, un marché en berne

Ainsi en 2018, "les revenus générés par l’activité agricole des ménages des territoires viticoles sont 1,9 fois supérieurs à ceux des territoires d’élevage bovin". "Cela n’est pas étonnant", rétorque Tristan Arlaud.

"Les viticulteurs par exemple sont sur une conjoncture favorable, avec la Chine qui commence à boire du vin. Ce sont des marchés extrêmement porteurs. Cela maintient donc des prix rémunérateurs, contrairement à la viande qui est moins demandée qu’avant."

Dans le monde en effet, se basant sur les données de l’Organisation des Nations unies pour la l’alimentation et l’agriculture (FA0), Bloomberg tablait sur une diminution mondiale de la consommation de viande de 3% en 2020. Soit la plus grande baisse en vingt ans.
En France, la consommation moyenne par habitant de viande bovine a d’ailleurs légèrement diminué (1,5%), passant de 24,3 kg-équivalent carcasse (kgec) en 2019, à 23,6 kgec en 2020. Or entre 2003 et 2012, elle oscillait autour de 26 kgec puis 25 kg jusqu’en 2018, d’après les chiffres de FranceAgrimer. Une tendance qui pourrait d’ailleurs perdurer. Une étude menée fin 2020 par l’IFOP indique qu’un quart des Français ont déclaré limiter leur consommation de viande, quand 2,2% d’entre eux ont expliqué avoir adopté un régime sans viande.

La faute à la concurrence déloyale

Cependant, ce serait surtout la concurrence internationale, que Tristan Arlaud juge "déloyale", qui serait responsable des maux de la filière. À l’image de ce que connaît le marché des fruits et légumes "où l’on voit l’Espagne et le Maroc arriver", précise l’agriculteur. "S’il n’y a pas de régulation, pas de contrôle à l’autre bout de la planète, voire même de l’Europe, où on laisse travailler les gens à 10 euros la journée, forcément nous, à 18 euros de l’heure charges incluses, on ne peut pas lutter."

"Les éleveurs ne sont pas aidés: on leur met en face des productions mondiales qui utilisent des choses que l’on n’autorise pas en France comme les hormones ou encore les antibiotiques. Donc tant qu’ils restent sur cette offre mondiale, c’est compliqué."

Autant d’éléments qui font qu’en France, la pauvreté est plus importante chez les agriculteurs: "le niveau de vie médian des personnes pauvres est de 9.400 euros, soit 1.300 euros de moins qu’au sein des ménages pauvres ayant des revenus d’activité", note l’INSEE dans son étude. Sans compter que, seul un tiers des ressources des ménages agricoles provient de leur activité.

"La majorité de leurs revenus sont issus d’autres activités, en particulier celles du conjoint, et un cinquième sont issus du patrimoine, notamment sous la forme de fermages", détaille l’institut.

Alors pour l’agriculteur, il est urgent d’agir: "On est pour sortir l’agriculture des accords de libre-échange". En outre, il préconise également "de se recentrer sur le marché national, faire de la qualité et la valoriser".
De son côté, Emmanuel Macron a promis ce 12 octobre que dans son plan "France 2030" de 30 milliards d’euros, deux milliards seraient consacrés à l’agriculture. Des investissements qui doivent permettre de "décarboner la production" agricole, "sortir de certains pesticides", "améliorer la productivité" et développer "des productions plus résilientes et plus solides dans les bio-solutions". Et les revenus des agriculteurs?
Discuter