Cours d'Anti-néolibéralisme
Avec l’aide de l’économiste Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, Sputnik entame une série d’émissions dans le but d’expliquer les fondements de ce néolibéralisme qui génèrent les crises répétitives.

Comment l’intérêt envers les ouvriers peut provoquer "un regain spectaculaire de motivation"

Dans ce 17e cours "d’Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf explique à Sputnik les principales expériences menées par Elton Mayo dans certaines entreprises américaines et qui ont débouché sur l’apparition du courant des sciences humaines dans la discipline de gestion du personnel. Selon lui, l’intérêt ressenti par les ouvriers était capital.
Sputnik
Durant les premières décennies ayant suivi l’apparition de la manufacture puis de la Révolution industrielle de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle, l’entreprise a été pensée comme une entité pouvant être gérée de manière mécanique. Il a fallu attendre les travaux d’Elton Mayo (1880-1949) pour voir la dimension humaine introduite comme partie intégrante de la discipline de gestion des sociétés, mettant en avant l’importance de l’affect et des sentiments.
Ainsi, à partir de là, les gestionnaires étaient amenés, en plus de la gestion rationnelle visant la maximalisation des profits, à tenir compte d’une organisation informelle qui possède sa dynamique propre, pouvant entraver ou faciliter la poursuite des objectifs de l’organisation formelle.
L’analyse du comportement au sein des organisations de travail depuis les travaux d’Elton Mayo (1924) s’est limitée aux problèmes liés à la dynamique de groupe, au leadership, à la motivation et aux tâches des ouvriers au sein de l’entreprise.
En quoi consistent le travail et les expérimentations entrepris par Elton Mayo? Qu’est-ce qui peut freiner l’élan des travaux menés par Mayo? En termes d’influence des sciences humaines dans la gestion des entreprises, quelles avancées majeures de ce courant de pensée?
Dans ce 17e cours "d’Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, indique auprès de Sputnik qu’en réalité, "c’est à partir d’une perspective mécaniste, de concepts et de schémas simples, que se fait l’étude de la dimension humaine et affective dans l’entreprise".

L’apparition du concept de "spleen industriel"

"Au début du XXe siècle, en plein essor des machines et de l’organisation du travail dans les usines selon les principes de division technique énoncés par Frederick Winslow Taylor puis par Henry Ford 1er (1863-1947) [dans ses usines d’automobiles, ndlr], l’ouvrier ou l’employé était de plus en plus incorporé dans le processus de production sans que sa nature humaine ne soit prise en considération", affirme le Pr Aktouf, soulignant qu’il "était considéré juste comme un rouage parmi les autres".
Et d’ajouter que "c’est dans ce contexte et ces conditions de travail que s’est répandu dans les entreprises américaines un phénomène aussi nouveau que surprenant baptisé par certains +spleen industriel+".
En effet, selon lui, "ce phénomène consiste en une perte graduelle d’intérêt pour le travail et un sentiment de morosité et de mélancolie. Ce phénomène découle de la soumission à la machine, au travail à la chaîne, aux normes et rythmes des bureaux des méthodes". Certains auteurs et critiques de l’époque, dont Elton Mayo (1924), "ont pointé les effets de la monotonie, de la fatigue morale et physique, de l’absence de sollicitation de l’intelligence et de l’initiative du producteur…", rappelle-t-il.

L’expérience personnelle de Mayo parmi les ouvriers

Les problèmes d’ennui et de fatigue morale et physique ont commencé à être étudiés dès la première intervention d’Elton Mayo dans une usine de textile, au début des années 1920. Cette intervention préfigure ce qui se passera plus tard lors d’une expérience menée à l'usine Western Electric de Hawthorne.
"Elle s’est déroulée en 1923, à Philadelphie, lorsque Mayo a été appelé pour conseiller l’entreprise quant à un très sérieux problème d’absentéisme et de rotation du personnel", indique Omar Aktouf, précisant que ce dernier "avait introduit des pauses et un système de primes établi avec les employés. Mayo a réussi à obtenir des résultats spectaculairement positifs, mettant en cause dans son analyse du problème la monotonie, le peu de fierté que les ouvriers retirent de leur travail et, surtout, la fatigue que cette combinaison monotonie-basse estime de soi contribue à causer".
Par ailleurs, il explique que "l’expérience à l’usine de Hawthorne entre 1927 et 1929, au sein de l’atelier d’assemblage où il a formé de petits groupes où l’on expérimente des formes de liberté dans la façon de travailler ou de leadership plus bienveillant, reste comme la plus fondamentale que Mayo avait pu mener". En effet, selon l’interlocuteur de Sputnik, "durant l’été de 1928, Mayo a préconisé de tester un retour aux conditions initiales de travail, supprimant ainsi toutes les améliorations apportées jusque-là durant l’expérimentation qui étaient considérées comme cause des progrès observés en productivité. Or, le maintien du haut niveau de productivité pendant trois mois, malgré le rétablissement des anciennes conditions, a causé une grande surprise, dénommée la +grande illumination+: le seul fait de montrer, concrètement, par les expériences et la présence des expérimentateurs, que l’on s’intéresse à eux et à leurs conditions de travail, aurait provoqué chez les ouvriers un regain spectaculaire de motivation".
Discuter