C'est un coup de filet inédit qui se poursuit depuis plusieurs jours au Burkina Faso. Ce 2 octobre, des médias burkinabè citant des sources judiciaires ont annoncé l’interpellation par la gendarmerie de Jérémie Madia Onadja, maire de Pama, une commune de l’est du pays. Il lui est reproché d’avoir facilité la fuite d’un présumé contrebandier de carburant activement recherché par la justice.
La veille, une dizaine de douaniers, dont des chefs de brigade et de bureau, ont été arrêtés dans le cadre de la même affaire de trafic de carburant qui secoue actuellement ce pays ouest-africain, d'après les mêmes sources. Ce trafic servirait selon la justice à financer le terrorisme.
"C'est un dossier délicat qui porte sur une situation très complexe touchant à de gros bonnets. Mais quand on considère ceux qui sont actuellement aux commandes, que ce soit le procureur du Faso ou les actuels ministres de la Défense et de la Sécurité nommés à dessein fin juin par le Président Roch Marc Christian Kaboré qui est à son dernier mandat, on peut penser qu’ils ont les coudées franches pour aller jusqu’au bout et que de grosses têtes vont tomber", a déclaré Paul Koalaga Oumarou, spécialiste des relations internationales, expert en sécurité et défense, interrogé par Sputnik.
Si cette affaire qui vient d’éclater au grand jour défraie la chronique au Burkina Faso, c’est surtout parce qu’elle jette un coup de projecteur sur la corrélation entre activités terroristes et criminalité et de façon plus spécifique sur les sources de financement du terrorisme. "Il y a bien évidemment un lien entre la criminalité – qu’elle soit petite ou grande – et le terrorisme, l’une servant de moyen de financement à l’autre", confirme Paul Koalaga Oumarou.
Débusquer les complices
Que l'on parle de carburant, d'armes, de munitions, de bétail, et même de vivres, ce sont là autant de ressources dont l’approvisionnement par les groupes armés ne laisse aucune place au doute quant à la "complicité, à tous les niveaux, d’un certain nombre d’acteurs et non des moindres", selon Paul Koalaga Oumarou.
"C’est en connaissance de cause et sans états d’âme que ces derniers, hommes d’affaires,douaniers, autorités politiques, et autres, participent à permettre à des groupes extrémistes d’avoir accès à ces ressources. Pour eux, le plus important est de tirer avantage de la situation, peu importe les morts que cela pourrait occasionner", a-t-il regretté.
Face à ce constat, cet expert estime "qu’il va falloir redoubler d’efforts pour espérer débusquer ces complices et ainsi limiter l’approvisionnement des groupes armés".
De la contrebande à grande échelle
Pour l'heure, plusieurs dizaines de présumés complices sont aux arrêts. Dans un communiquédiffusé le 23 septembre, le procureur du Faso Harouna Yoda avait annoncé l’interpellation de 72 personnes, soupçonnées d’être impliquées dans ce trafic de carburant à grande échelle.
L’importation de carburant est un monopole d’État dévolu à la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY). Toutefois, des circuits parallèles existent bel et bien. Convoyé depuis le Nigeria, le carburant transite clandestinement par le Bénin pour être stocké à Koualou, une zone neutre à la frontière entre le Bénin et le Burkina Faso. C'est de là que de nuit, principalement, le combustible est transporté par milliers de litres dans des camions spécialement aménagés pour alimenter plusieurs villes, dont la capitale Ouagadougou.
L’enquête a permis d’identifier des contrebandiers dans six des treize régions que compte le Burkina Faso, ainsi que des dépôts illicites dans de nombreuses localités.
"L'enquête suit toujours son cours et les auditions et interpellations nécessaires se poursuivront afin de mettre fin à ces infractions qui non seulement paralysent l’économie nationale, mais également sont constitutives de sources de financement du terrorisme", avait indiqué le procureur.
Du côté des élus de la nation, on suit également le dossier de près.
"Au regard du caractère criminel des faits, tout en respectant la présomption d’innocence, l’Assemblée nationale accordera une attention à cette affaire dont la gravité requiert des sanctions exemplaires à l’encontre de quiconque y serait impliqué", a déclaré Alassane Bala Sakandé, président de l’institution.
Une chose apparaît certaine, ce feuilleton juridico-sécuritaire s’annonce long et potentiellement riche en rebondissements. En attendant, le pays continue de subir de plein fouet le terrorisme. Le 4 octobre, une attaque terroriste qui a visé le détachement militaire de Yirgou dans la région du Centre-Nord a fait pas moins de 14 morts et 7 blessés.