Scandale dans l’Église catholique française: "Un prêtre pédophile, c’est une immense trahison"

C’est un séisme pour l’Église: depuis 1950, 210.000 mineurs ont subi des abus sexuels de la part des religieux, selon un rapport. Un chiffre vertigineux qui provoque la sidération de l’abbé Pierre Amar. Il appelle à écouter la colère des victimes.
Sputnik

"Il y aura vraiment un avant et un après 5 octobre. Ce rapport est une étape importante pour continuer d’avancer. […] À nous de démontrer maintenant que l’on va prendre les mesures pour que cela serve vraiment", affirme au micro de Sputnik l’abbé Pierre Amar.

La commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a rendu aujourd’hui les résultats de son enquête menée durant deux ans et demi. Le bilan est accablant: depuis 1950, 216.000 mineurs ont été victimes de violences sexuelles, commises par "2.900 à 3.200" hommes prêtres, diacres et religieux, a estimé la CIASE.
Un nombre qui grimpe même à 330.000 si on compte les personnes agressées par des laïcs travaillant dans les institutions de l’Église tels que des aumôniers, des enseignants membres du clergé ou encore des cadres de mouvements de jeunesse. Des chiffres vertigineux, probablement minorés puisqu’ils résultent d’une estimation statistique comprenant une marge de plus ou moins 50.000 personnes. Et le pire constat: l’Église a tout simplement fermé les yeux sur ces abus à caractère systémique.

"C’est consternant"

Les révélations ont provoqué un coup de tonnerre au sein de l’institution catholique. Le pape François a d’ailleurs exprimé son "immense chagrin" face à cette "effroyable réalité".
"C’est extrêmement douloureux, cette vérité fait mal, mais ce n’est rien comparé à la souffrance des victimes", abonde l’abbé Amar, qui confie être "sidéré et effaré" à la vue de l’ampleur des cas recensés. D’après le rapport Sauvé, 56% des abus se sont déroulés entre 1950 et 1969, touchant principalement les garçons qui "représentent près de 80% des victimes, avec une très forte concentration entre 10 et 13 ans". Cependant, 22% ont été commis depuis les années 1990. Une période marquée par "une prise de conscience progressive du caractère totalement inacceptable des violences sexuelles et de leur radicale illégitimité, spécialement dans le contexte de l’Église catholique, compte tenu de la mission qui est la sienne", a noté Jean-Marc Sauvé.
Si le nombre d’abus sexuels a baissé, comment expliquer qu’ils aient pu avoir lieu? L’abbé Amar avance que cela peut être lié à "l’engagement depuis toujours" de l’Église dans le milieu de l’enfance et de la jeunesse. "Le rapport Sauvé explique bien qu’après la famille, en position numéro deux, c’est l’Église qui est confrontée à ce fléau, ce drame de la pédophilie", indique l’abbé.

"Je suis consterné parce qu’un prêtre, normalement, on lui fait confiance car il a donné sa vie pour les autres. Un pédophile, c’est déjà un drame, mais un prêtre pédophile c’est une immense trahison", poursuit le vicaire de la paroisse de Saint-Symphorien de Versailles.

Une trahison d’autant plus grande que l’Église n’a pas été incitée à régler la question des violences sexuelles.

Indifférence profonde pour les victimes

L’institution catholique a manifesté "jusqu’au début des années 2000 une indifférence profonde, et même cruelle à l’égard des victimes" de pédocriminalité, a affirmé Jean-Marc Sauvé:

"Elle n’a pas su voir, n’a pas su entendre, n’a pas su capter les signaux faibles, n’a pas su prendre les mesures rigoureuses qui s’imposaient. […] Il y a eu surtout un ensemble de négligences, de défaillances, le silence, une couverture institutionnelle qui ont présenté un caractère systémique."

Pour tenter d’expliquer ce silence, l’abbé Amar estime que "pendant très longtemps, on a voulu protéger l’institution, en se disant que ça passerait et c’est le drame". L’Église souhaitant notamment "éviter le scandale", "maintenir le prêtre défaillant dans le sacerdoce", mais surtout "le soigner", comme le pointe le rapport.
Un manque de soutien dévastateur pour les personnes abusées: "J’ai été très marqué lorsque j’ai rencontré des victimes car ce ne sont pas simplement des statistiques, ce sont des noms, des visages, des gens que je connais, ce ne sont pas des victimes, ce sont des survivants", insiste l’abbé.

"J’ai une immense admiration pour eux. Je remercie le courage des victimes qui ont eu la détermination de parler, de rompre la chape de silence, il leur a fallu un courage incroyable."

Dorénavant, ils veulent réparation. Lors de la conférence de la CIASE, François Devaux, cofondateur de l’association La Parole libérée, a appelé les évêques de France à "payer pour tous ces crimes".
"(Les associations) attendent des réponses claires et tangibles de la part de l’Église de France, par le biais de la Conférence des Évêques de France et DE la Conférence des religieux et religieuses de France", ont plaidé six collectifs et deux victimes de violences sexuelles, dont François Devaux, dans un communiqué.

Vers la réforme de l’Église ?

Reste qu’en matière de sanctions, dans la majorité des cas, les faits sont aujourd’hui prescrits, leurs auteurs étant décédés, ce qui rend un recours à la justice improbable. En 2020 par exemple, le père Bernard Preynat, défroqué, avait écopé de cinq ans d’emprisonnement ferme pour avoir commis des agressions sexuelles sur environ 70 jeunes scouts entre 1986 et 1991. Le cardinal Barbarin avait quant à lui été condamné en 2019 à six mois avec sursis pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs, avant d’être relaxé un an plus tard.
Afin d’éviter de nouveaux drames, la Commission a préconisé plusieurs dizaines de propositions. Parmi celles-ci, la formation des prêtres et des religieux, la transformation de la gouvernance de l’Église, la vérification systématique des antécédents judiciaires, ou encore de renforcer "grandement" la présence des "laïcs en général et des femmes en particulier". Mais également, d’évaluer la question de l’ordination d’hommes déjà mariés afin qu’ils deviennent prêtres.
En outre, il est suggéré à l’institution d’apporter une "réparation" financière à toutes les victimes de violences sexuelles en son sein, en souhaitant que cette indemnisation ne soit pas considérée comme "un don" mais "un dû".
Autant de propositions sur lesquelles devront se prononcer la Conférence des évêques de France et la Conférence des religieux et religieuses en France (Corref). Les deux institutions annonceront les premières mesures en novembre prochain, lors de leurs assemblées plénières.
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