Pour la première fois depuis le début du conflit en 2011, Bachar el-Assad s’est entretenu ce 3 octobre au téléphone avec Abdallah II, roi de Jordanie. Au cours de l’entretien, le souverain hachémite a assuré le Président syrien "du soutien de la Jordanie aux efforts visant à préserver la souveraineté, la stabilité et l’unité territoriale de la Syrie".
Ce tournant était prévisible depuis plusieurs semaines. En effet, plusieurs rencontres et sommets bilatéraux se sont déroulés pour discuter des défis sécuritaires et de la reprise des activités économiques avec la possible levée des barrières tarifaires. Résultat, la Jordanie a annoncé le 29 septembre l’ouverture complète de Jaber-Nassib, le principal point de contrôle frontalier entre les deux pays.
Amman favorable à l’allégement des sanctions anti-syriennes
"Tout le monde y trouve son compte", commente pour Sputnik un conseiller politique au sein du parti Baas syrien. "D’un point de vue politique, c’est une victoire syrienne", affirme notre source, qui a souhaité conserver l’anonymat. Mais c’est incontestablement une victoire économique pour Amman.
"Depuis plusieurs mois, la Jordanie cherche en effet à casser l’isolement syrien dont elle en paie de graves conséquences économiques. La Syrie est un pays qui lui donne accès au marché libanais, à la Turquie voire à l’Europe quand il n’y avait pas la guerre", estime notre source local
En conséquence, la Syrie fait en effet partie des thèmes dont Amman discute avec Washington et Moscou. En déplacement aux États-Unis en juillet dernier, le roi Abdallah II avait ainsi appelé son allié américain à desserrer l’étau des sanctions anti-syriennes pour permettre à nouveau à la Jordanie de commercer avec la Syrie. L’ouverture de la frontière syro-jordanienne a été évoquée lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine le 23 août dernier. La Jordanie prône également le retour de Damas dans la ligue arabe, d’où il a été écarté depuis 2011.
"C’est Amman qui a le plus fait le forcing que Damas, la Syrie savait qu’avec le temps, les voisins reviendraient vers elle", explique le membre du parti Baas. En effet, ce rapprochement syro-jordanien est surtout à replacer dans le contexte régional. Outre le Liban et l’Irak, qui ont gardé des relations avec la Syrie pendant le conflit, les pays arabes sunnites commencent à s’activer sur le dossier syrien.
"Les pays du Golfe, eux, veulent réintégrer le giron syrien et ça passe nécessairement par Amman", souligne notre source.
Ce sont les Émirats arabes unis qui ont lancé le mouvement en 2018 avec la réouverture de leur ambassade à Damas, suivie de très près par celle de Bahreïn. Dans une logique anti-Frères musulmans*et opposée à la Turquie, Abou Dhabi a même apporté un soutien de poids à l’armée syrienne dans son offensive contre la poche djihadiste d’Idlib. Mohamed Ben Zayed, homme fort des Émirats, aurait promis en avril 2020 trois milliards de dollars à Damas en cas de reprise des combats contre les insurgés. Pour sceller cette nouvelle idylle entre les deux pays, Dubaï a invité une délégation syrienne à se rendre à l’expo universelle du 1er octobre au 31 mars 2022.
Fidèle à son rôle de médiateur, Oman a renvoyé son ambassadeur en Syrie en octobre 2020.
L’influence iranienne dérange les pays arabes
Partageant une longue histoire commune avec Damas, Le Caire a une nouvelle fois plaidé en faveur d’un retour de Bachar el-Assad dans la ligue arabe. Lors d’une réunion à l’Onu en septembre dernier, les ministres des Affaires étrangères égyptien et syrien se sont longuement entretenus, une première en 10 ans.
"Maintenant que les batailles militaires ont diminué, nous devons jouer un rôle dans le rétablissement de la communication, pour explorer les mesures nécessaires qui permettront de préserver les capacités du peuple syrien et de sortir de la crise pour rétablir la position de la Syrie dans le monde arabe", avait déclaré le 25 septembre le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Shoukry.
Mais derrière cette volonté de normalisation tous azimuts avec le gouvernement syrien se cacherait une réalité géopolitique plus précise.
"Il y a un alignement des étoiles pour la Syrie. Damas profite du dossier libanais pour renouer des liens avec ses voisins. Les pays du Golfe lorgnent le territoire syrien dans le but de concurrencer l’influence iranienne grandissante dans le pays", estime l’homme politique syrien.
Même l’Arabie saoudite entretient des liens officieux avec Damas. Une délégation saoudienne dirigée par le chef du service de renseignement, le lieutenant général Khaled al-Humaïdan, s’est rendue en Syrie le 3 mai dernier pour rencontrer le Président Bachar el-Assad. Ce déplacement devait acter la normalisation entre les deux pays et la réouverture de l’ambassade saoudienne. Mais pour Riyad, c’est donnant-donnant. Le royaume wahhabite voulait l’assurance que Damas prend quelque peu ses distances avec son ennemi iranien. Ce qui n’exclut pas la poursuite des négociations entre les deux pays.
Les pays du golfe ont acté la victoire d’Assad
Cette nouvelle approche politique arabe contraste avec leur posture initiale au lendemain du déclenchement du conflit syrien. Tour à tour, toutes les pétromonarchies ont fait le pari de la rébellion syrienne. Appuyant, armant et finançant les différentes mouvances djihadistes en Syrie, les pays sunnites ont déboursé des milliards de dollars pour faire chuter le Président syrien. D’ailleurs, le roi jordanien Abdallah II a été le premier dirigeant arabe à demander le départ immédiat de Bachar el-Assad. "Si j’étais à sa place, je quitterais le pouvoir", avait-il déclaré en novembre 2011 lors d’une interview à la BBC.
Pays limitrophe, la Jordanie a longtemps servi de base arrière pour les groupes djihadistes entraînés par les Américains jusqu’en 2015, avant d’uniquement leur fournir du matériel militaire.
Pour notre source syrienne, ce changement de posture des gouvernements arabes est surtout lié à la reprise du territoire syrien par Damas:
"Lorsque la Syrie était au plus bas en 2013-2014, les pays arabes croyaient dur comme fer en un changement de régime. Mais l’appui russe et iranien a changé la donne et aujourd’hui, ils savent pertinemment que Damas a remporté la guerre. Donc il y aura juste une volonté de réajustement politique en fonction de leurs propres intérêts."
Finalement, hormis le Qatar qui continue de soutenir la poche djihadiste d’Idlib, tous les pays arabes du Moyen-Orient ont renoué, timidement pour certains, le contact avec Damas.
*Organisation terroriste interdite en Russie.