Le proverbe "tel est pris qui croyait prendre" pourrait presque résumer la situation. Six mois avant la révélation, en juillet dernier, sur le logiciel Pegasus, la France discutait secrètement avec la société israélienne NSO qui l’a conçu, affirme Europe 1. Elle ne l’a finalement pas acquis, et ses propres ministres en ont été la cible.
"Cela faisait un peu plus d'un an et demi que la France cherchait à se doter d'un outil de ce type": indique le média.
Les services de renseignement voyaient dans ce logiciel un moyen facile d’accéder à des messages cryptés, notamment sur Telegram et WhatsApp, d’ordinaire très difficiles à décoder. En effet, Pegasus permet directement d’entrer dans le téléphone d’un individu, à son insu, et de subtiliser tous ses contenus.
Ainsi, plusieurs fonctionnaires de l’État sont allés jusqu’à l’élaboration d’un contrat avec NSO. Au vu de la sensibilité du sujet, l’accord final revenait au Président français. Ce dernier s’est refusé à faire usage d’une telle méthode, mettant fin aux négociations. En opérant ce choix moral, Emmanuel Macron ne venait-il pas de priver ses services de renseignement d’un outil certes discutable sur le plan éthique mais redoutablement efficace?
Aveu de faiblesse?
Jean-Yves Le Drian, interrogé le 29 septembre par la commission des Affaires étrangères au Sénat sur l’affaire des sous-marins, devait répondre d’éventuelles défaillances de la diplomatie et du renseignement français qui n’ont pas vu venir l’accord tripartite entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni qui menaçait directement le contrat avec Canberra.
"S’il y a eu recherche d’une nouvelle donne, elle s’est développée en comité extrêmement restreint. […] Il faudrait, pour aller plus loin, que les services de renseignement français utilisent des méthodes que nous n’utilisons pas…", a-t-il reconnu, sans préciser s’il parlait bel et bien du logiciel Pegasus.
Des ministres concernés
Le 18 juillet, une enquête menée par les organisations Forbidden Stories et Amnesty International, publiée ensuite par 17 médias internationaux, a révélé l’utilisation de cette "arme numérique" depuis 2016 contre des journalistes, personnalités politiques, chefs d’entreprises et militants des droits de l’homme dans différents pays.
En France, au moins 15 ministres étaient concernés, tandis que les investigations se poursuivent. Mediapart affirme que cinq d’entre eux (Jean-Michel Blanquer à l’Éducation, Jacqueline Gourault à la Cohésion des territoires, Julien Denormandie à l’Agriculture, Emmanuelle Wargon au Logement et Sébastien Lecornu aux Outre-mer) ont bel et bien été ciblés entre 2019 et 2020. De son côté, NSO a nié ces allégations: "Ils [les ministres français] ne sont pas et n'ont jamais été les cibles de la technologie du groupe NSO utilisée par ses clients [...]. Nous rappelons que NSO n'exploite pas sa technologie".
Qui l’utilisait?
Au moment des révélations, c’est surtout le Maroc qui avait été soupçonné d’avoir eu recours à ce logiciel, ce qui a plombé ses relations avec l’Algérie, la France, l’Espagne, et d’autres pays. Mardi 28 septembre, sans toutefois mentionner Pegasus, Paris a réduit le nombre de visas accordés aux ressortissants de ce pays, ainsi qu’à ceux de Tunisie et d’Algérie.
Début septembre, la police criminelle allemande, mise sous pression par les médias nationaux, a reconnu avoir acheté le logiciel, bien que le contrat portât sur une version limitée de celui-ci. Au total, quelque 50.000 numéros de téléphone ont pu être parasités, dont un millier de téléphones français.