Réouverture de la frontière entre la Syrie et la Jordanie: une inflexion de Washington?

L’isolement politico-économique de Damas continue de se fissurer. La Jordanie a rouvert son principal poste-frontière avec la Syrie. Une décision qui aurait eu l’aval de Washington pour permettre au royaume hachémite de sortir de la crise économique.
Sputnik
Damas entérine encore un peu plus son retour dans le giron arabe. Après la reprise du trafic frontalier avec le Liban et l’Irak, c’est au tour de la Jordanie. Le 29 septembre, Amman a annoncé l’ouverture complète de Jaber-Nassib, le principal point de contrôle le long des 375 km de la frontière syro-jordanienne. Prosaïquement, cet accès frontalier vers la Jordanie signifierait la sanctuarisation des acquis territoriaux pour le gouvernement syrien.
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En effet, ce lieu de transit fut tour à tour fermé en raison de la guerre civile syrienne jusqu’en 2018, puis interdit à cause de la propagation du coronavirus en 2020 et enfin bloqué à nouveau pour des motifs sécuritaires avec les récents affrontements armés pour la récupération de la province sud de Deraa en août et septembre 2021. Fort de ses victoires militaires, Damas entend maintenant sortir de son isolement économique.
Ce qui tombe bien, l’objectif étant partagé par Amman: enclavé et ne disposant pas d’importantes ressources en hydrocarbures, le royaume hachémite est en pleine crise économique. Le pays a subi de plein fouet la crise du coronavirus et l’absence de touristes sur son sol. Amman verrait ainsi d’un bon œil le retour des relations commerciales avec la Syrie. "Le but de ces accords est de stimuler les échanges commerciaux entre les deux pays pour atteindre les intérêts de chaque partie", déclarait le ministre jordanien de l’Industrie et du Commerce, Maha Ali.

"Le feu orange" de Washington à la Syrie

Avant la guerre, le trafic commercial généré par le poste-frontière de Jaber-Nassib était estimé à 1,5 milliard de dollars par an (1,2 milliard d’euros). Les dix années de conflit en Syrie auraient fait perdre plus de 20 milliards de dollars à Amman. "La Syrie est le troisième partenaire économique de la Jordanie", souligne Bassam Abou Abdallah, docteur syrien en relations internationales.
Or, une telle ouverture des frontières ne peut avoir vu le jour sans l’assentiment de Washington. "Bien évidemment qu’il y a eu un feu vert officieux de la part des États-Unis", en fait, "c’est un feu orange", poursuit-il avec malice.
"Les Américains ferment un peu les yeux sur ce sujet. Mais cela ne veut en aucun cas dire qu’ils reprendront des relations diplomatiques avec Bachar el-Assad. Disons qu’ils n’encouragent pas un retour de Damas, mais ils ne bloquent pas pour autant", estime le géopolitologue syrien au micro de Sputnik.
"Cela fait certainement suite à la rencontre entre le roi Abdallah II et Biden", ajoute-t-il. En effet, les deux hommes se sont rencontrés à la Maison-Blanche le 19 juillet dernier. Amman aurait exhorté son allié américain à assouplir les sanctions à l’encontre de la Syrie pour une reprise des activités économiques entre les deux pays.

La Jordanie aurait perdu 20 milliards de dollars à cause de la guerre en Syrie

Récemment, les Etats-Unis ont participé à un autre projet régional impliquant la Syrie. L’Égypte a en effet prévu d’acheminer du gaz vers le Liban via la Syrie et la Jordanie. Un accord qui n’aurait pas vu le jour sans l’aval de Washington, qui a donc permis une brèche officieuse dans son système de sanctions afin de permettre la réalisation de ce projet, vital pour le Liban en crise et pour contrecarrer l’influence iranienne.
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Cette étonnante évolution des États-Unis n’est probablement pas sans arrière-pensée politique, mais permettrait tout de même à la Syrie d’espérer un début de désenclavement économique. "C’est un premier pas vers les négociations politiques. Petit à petit, l’isolement économique de la Syrie se brise. C’est une opportunité à saisir" résume Bassam Abou Abdallah.
"Cette ouverture frontalière ne concerne pas uniquement la Syrie et la Jordanie, mais également le Liban et le Golfe." Par effet ricochet, le Liban serait également concerné: "des produits libanais pourront être exportés vers la Jordanie via la Syrie", explique le géopolitologue syrien. Place stratégique et lieu de transit, la Syrie fait le lien entre les monarchies du Golfe et les marchés turcs et européens.
Pourtant, la libre circulation des marchandises entre la Syrie et la Jordanie n’implique pas celle des hommes. 1,3 million de Syriens ayant fui le conflit résident aujourd’hui en Jordanie. Selon un rapport du Haut comité des réfugiés (HCR), 2,4% des réfugiés ont l’intention de rentrer prochainement, alors que 70% d’entre eux espèrent le faire un jour. Pour l’heure, la plupart des réfugiés préféreraient rester dans le pays d’accueil ou les conditions de vie seraient meilleures.

Les réfugiés syriens ne pourront rentrer que si l’économie le permet

Depuis juin 2020 et l’entrée en vigueur des sanctions économiques, l’économie syrienne peine à se relever. Washington cible majoritairement les banques, les entreprises qui auraient un lien plus ou moins direct avec le gouvernement de Damas. Ainsi, tous les secteurs de la société en pâtissent: paupérisation généralisée, pénurie de gaz, de carburant et d’électricité, inflation galopante, baisse des salaires.
En définitive, malgré quelques exceptions discrètement accordées par Washington, seule une levée définitive des sanctions américaines devrait permettre le retour des réfugiés.
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