Une colonne de chars d’assaut Karrar, de pièces d’artillerie, de systèmes de missiles Sevom Khordad, d’hélicoptères et de lance-roquettes MLRS: ces derniers jours, Téhéran a acheminé du matériel lourd non loin de la frontière azérie.
Officiellement, l’Iran organise de nouvelles manœuvres. Celles-ci n’ont toutefois pas échappé à l’œil attentif de Bakou. "Chaque pays peut effectuer n’importe quel exercice militaire sur son propre territoire. C’est son droit souverain. Mais pourquoi maintenant, et pourquoi à notre frontière?", a fait mine de s’interroger Ilham Aliev, le Président azéri.
"Le nouveau gouvernement iranien tient à montrer qu’il garde un équilibre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie", explique au micro de Sputnik Thierry Coville, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
En effet, l’Iran a soutenu durant de longues années l’Arménie malgré une proximité religieuse avec l’Azerbaïdjan, à majorité chiite. Un choix qui s’explique en partie par le rapprochement de l’Azerbaïdjan avec les États-Unis après la dissolution du Pacte de Varsovie. Depuis, le partenariat privilégié entre Téhéran et Erevan concerne en particulier le domaine énergétique, Téhéran fournissant du gaz et Erevan de l’électricité produite par sa centrale nucléaire de Metsamor.
Seize millions d’Azéris en Iran
Téhéran s’est toutefois éloigné d’Erevan durant la guerre de six semaines en septembre 2020 opposant l’Arménie à l’Azerbaïdjan "en validant la victoire azérie", rappelle notre interlocuteur. Ainsi, en provoquant militairement Bakou à peu de frais avec ses manœuvres, Téhéran entendrait rééquilibrer son positionnement entre ses deux voisins. En effet, le conflit entre Arméniens et Azéris n’est pas sans incidence sur l’Iran. Le pays des mollahs, qui jouxte le sud de l’Arménie, abrite environ 70.000 à 90.000 Arméniens de souche, descendants de ceux qui ont émigré au XVIIe siècle. Autre lien historique: l’Arménie faisait autrefois partie de l’Empire perse.
Face à cela, les liens iraniens avec l’Azerbaïdjan sont également forts: la minorité azérie en Iran est la plus importante du pays, puisqu’elle compte près de 16 millions de personnes (soit plus de 25% des quelque 68 millions d’habitants). Plus que l’ensemble de la population de l’Azerbaïdjan, qui avoisine les dix millions d’individus.
L’axe Bakou–Tel-Aviv inquiète Téhéran
Téhéran marche donc sur des œufs entre ces deux pays et doit maintenir une politique régionale équilibrée, explique Thierry Coville. Selon lui, deux autres raisons majeures expliquent également ces exercices militaires iraniens. D’une part, Téhéran enverrait ainsi un message à Bakou dans le cadre de son rapprochement militaire avec Israël.
"Il y a des tensions importantes sur le dossier israélien entre Bakou et Téhéran", résume le spécialiste de l’Iran.
L’État hébreu a fourni d’importants moyens militaires à l’Azerbaïdjan durant sa guerre contre l’Arménie. Notamment les "Harop", des drones kamikazes capables d’exploser sur leur cible avec une précision chirurgicale. Ceux-ci ont largement contribué à la victoire militaire des forces azéries sur celles de l’Arménie. Le pouvoir israélien a également fourni à Bakou des missiles de type Lora, d’une portée de 430 km. Un rapprochement que Téhéran ne goûte que très peu.
Téhéran "prendra toutes les mesures qu’elle jugera nécessaires pour sa sécurité nationale", a ainsi déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saïd Khatibzadeh, dans un communiqué publié sur le site du ministère, prévenant que "l’Iran ne tolérera pas la présence du régime sioniste [Israël, NDLR] près de ses frontières."
Message à Ankara
D’autre part, ces manœuvres permettraient à l’Iran d’envoyer également un message à la Turquie, allié proche de l’Azerbaïdjan. Sur plusieurs théâtres régionaux tels que la Syrie ou encore l’Irak, les deux pays sont adversaires.
Selon le directeur de recherche à l’IRIS, cette provocation iranienne est aussi destinée à rappeler à Ankara que sur ce front également, l’Iran est présent et constitue un contrepoids stratégique avec lequel Ankara doit composer. Officiellement, l’Iran se veut néanmoins rassurant.
"Les manœuvres menées par notre pays dans les zones frontalières du nord-ouest […] sont une affaire de souveraineté", a déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères.
Des déclarations et une évolution de la situation qui font dire à Thierry Coville qu’une escalade plus importante est très peu probable.