Éclaircie à l’horizon pour Naval Group. Moins de deux semaines après le torpillage par l’Australie du "contrat du siècle", le groupe français voit se dessiner une importante commande en Grèce. Ce 28 septembre, l’industriel a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec Athènes pour la livraison d’ici 2025 de trois frégates de défense et d’intervention (FDI) Belh@rra et de trois corvettes Gowind.
S’ajoute à cela une option sur un bâtiment de chaque classe, pour une commande record chiffrée à cinq milliards d’euros si l’on inclut l’armement fourni par MBDA. Cerise sur le gâteau, les "frégates FDI seront construites dans le chantier de Naval Group à Lorient", a indiqué l’arsenal dans un communiqué.
Un véritable coup de théâtre, mais cette fois-ci en faveur des Français, tant et si bien que certains s’interrogent. "Il semblerait que ce succès soit une compensation américaine à la perte du contrat australien", avance La Tribune, généralement au fait des bruits de couloir dans le microcosme de la Défense. Éventualité que rejette Pierre Conesa, haut fonctionnaire passé par l’Hôtel de Brienne.
"On ne va quand même pas regarder tous les contrats signés par la France comme des compensations!", fustige l’énarque. "Je ne pense pas que les Américains se sentent dans une quelconque obligation de compenser quoi que ce soit", enchaîne-t-il.
Il faut dire que cette signature pourrait ponctuer une série de rebondissements qui n’a rien à envier au contrat des sous-marins dénoncé le 15 septembre par Camberra. En octobre 2019, après plus d’un an de négociations, Naval Group pensait l’affaire réglée lorsque les ministres français et grecs de la Défense avaient signé une lettre d’intention. Il était alors question que de deux FDI, mais Athènes se ravisa suite à une contre-offre particulièrement musclée de l’américain Lockheed-Martin. La venue à Lorient, quinze jours plus tard, du vice-amiral grec pour assister aux côtés de Florence Parly à la découpe de la première tôle de la première FDI n’y avait rien changé.
David contre Goliath: quand l’outsider l’emporte
Tant et si bien qu’à Athènes, la donne changea radicalement en faveur de l’américain. En plus du lobbying de l’ambassadeur de Trump, difficile pour un industriel européen d’encaisser la puissance de feu du mastodonte américain. Numéro 1 mondial de l’armement, Lockheed Martin vend en moyenne douze fois plus que Naval Group, qui ne parvient pas à se hisser dans les 20 premiers groupes mondiaux de sa catégorie, selon les chiffres annuels du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute).
Concrètement, la multinationale du Maryland proposait à Athènes deux fois plus de navires pour deux fois moins cher que les Français, ajoutant la modernisation de la flotte grecque à la corbeille de la mariée. Cerise sur le gâteau: la majorité des frégates auraient été produites en Grèce… dans les chantiers navals rachetés par les entreprises US durant la crise financière. Paris et Naval Group ne désarmèrent pour autant pas, revoyant leurs ambitions financières à la baisse et multipliant les propositions afin de renforcer l’offre tricolore, comme le don de deux frégates devant être désarmées, offre qui est finalement tombée à l’eau.
Si elle se confirmait, cette victoire serait donc d’autant plus belle pour les Français. Pour Pierre Conesa, qui rappelle les différents contrats d’armement déjà signés entre Paris et Athènes (Mirage, Rafale), la position française bénéficie du penchant de Washington pour Ankara.
"Les Grecs savent très bien que les Turcs sont un élément important de l’Otan et donc que les Américains seront toujours très prudents vis-à-vis de cessions de matériel que les Turcs pourraient considérer comme désagréables. Donc il n’y a pas de véritable concurrence américaine sur la Grèce."
En conférence de presse à l’Élysée pour présenter le protocole d’accord avec Athènes, Emmanuel Macron a affirmé ce 28 septembre que ce contrat "ne visait aucun pays en particulier". Pas sûr donc que ces propos convainquent la Turquie, où le Président de la République se rendait dans la foulée.
Une chose est sûre, pour l’heure l’affaire semble mieux engagée qu’il y a deux ans. Cette signature survient lors d’un déplacement du Premier ministre grec à Paris. Sous les Ors de l’Élysée, Kyriakos Mitsotakis a ainsi confirmé ce 28 septembre que la Grèce et la France allaient vers le "renforcement conséquent" de leur "partenariat stratégique". Également dans son rôle, Emmanuel Macron a salué "un choix qui est celui de la souveraineté, celui d’une Europe qui fait face" et a enjoint ses partenaires bruxellois à "sortir de la naïveté" lorsqu’il s’agit des intérêts européens et bâtir sa propre capacité de Défense.
C’est également une véritable bouffée d’oxygène pour l’industriel français, qui depuis plusieurs années enchaîne les déconvenues à l’export face à la concurrence américaine (Lockheed Martin) et allemande (TKMS) et plus récemment italienne (Fincantieri), cette dernière lui ayant raflé la quasi-totalité des marchés en Méditerranée. Même chose du côté de Florence Parly, qui avait fait de la réorientation vers l’Europe des exportations françaises d’armement son cheval de bataille. Une politique qui, jusqu’à présent, avait peu payé.
Reste à savoir s’il s’agit vraiment de la dernière page de ce houleux dossier. Car outre-Atlantique, Lockheed Martin crie également victoire. En effet, la France n’est pas la seule destination figurant dans l’agenda du gouvernement grec, son ministre des affaires étrangères est également attendu le 14 octobre prochain à Washington pour signer un "partenariat stratégique" avec les États-Unis.