Rachat des activités nucléaires d’Alstom: Macron, pompier-pyromane?

Après trois ans de quasi-immobilisme, le retour dans le giron français des anciennes activités nucléaires d’Alstom vendues à GE pourrait enfin avoir lieu. Hasard du calendrier ou approche des Présidentielles? Analyse et piqûres de rappel.
Sputnik
Les élections présidentielles permettront-elles aux ex-activités nucléaires d’Alstom de revenir dans le giron français? Rachetées par General Electric (GE) en 2015 avec la branche énergie de l’ancien fleuron français, elles sont en vente depuis près de trois ans. Or, "l’opération de rachat de GE Steam Power lancée par EDF seraitimminente", affirme La Tribune, citant "une source proche du dossier".
"Emmanuel Macron compte donc bien profiter de cette reprise de GE Steam Power par EDF pour redéfinir son image publique dans le domaine", glisse l’hebdomadaire financier. Un "coup politique" avant les Présidentielles, résume Philippe Petitcolin, secrétaire CFE-CGC du CSE turbines à gaz à Belfort, au micro de Sputnik.

Un rachat qui tombe à point nommé

Un comble quand on se souvient responsabilité de Macron dans la vente initiale. C’est en effet lui, alors qu’il passait du poste de Secrétaire général adjoint de l’Élysée à celui de ministre de l’Économie, qui plaida jusqu’à Bruxelles pour que les Américains obtinssent leur feu vert pour cette opération qui s’apparentait à un racket de GE soutenu par le Département américain de la Justice (DoJ).
Résultat: fin décembre 2014, malgré des offres alternatives de partenaires d’Alstom, notamment le Japonais (Mitsubishi Heavy Industrie) qui aurait permis à Paris de garder la main sur sa branche énergie, le groupe français actait la vente à General Electric de cette dernière. Une débâcle. Pourtant, désormais, tout semble presque oublié. Le timing apparaît idoine pour Emmanuel Macron:

"Ce qui a changé, c’est le Covid, où l’on reparle de souveraineté", observe Philippe Petitcolin, "cette erreur stratégique d’Emmanuel Macron commence à peser et cela pourrait être un caillou dans sa chaussure durant les Présidentielles."

Et il serait temps que l’exécutif tranche ce dossier. Confirmée par l’Obs en septembre 2019, la perspective de cette "revente à la découpe" du nucléaire français par GE avait fuité dès février dans les colonnes du Monde. Cela fait donc plus de deux ans que Paris est au courant de cette fenêtre d’opportunité et hésite à la franchir, bien que les turbines Alstom équipent les sous-marins lanceurs d’engins de la Marine nationale, fer de lance de la dissuasion nucléaire française, ainsi que l’intégralité des centrales nucléaires françaises, avec les fameux modèles Arabelle.

"L’État n’en avait rien à faire"

En octobre 2020, le Canard enchaîné relatait déjà que Bercy s’activait pour "boucler l’opération" de rachat… sans résultat. Et si l’opération de rachat menée par EDF semble bien engagée "depuis six mois", souligne Philippe Petitcolin, jusque-là, "l’État n’en avait rien à faire".
Une critique confirmée par Frédéric Pierucci, lui-même porteur d’un projet de rachat de l’ex-branche énergie d’Alstom et ancien cadre dirigeant de cette société. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il fut "otage juridique" durant le bras de fer qui opposa les autorités américaines au groupe français. Intervenant phare d’un colloque sur l’extraterritorialité du droit américain à l’Assemblée nationale, il faisait part de son incompréhension face à l’inertie de l’exécutif sur ce dossier, alors même que l’énergéticien américain était financièrement "dans une situation catastrophique". Là encore, nous étions en 2019 et, alors qu’un boulevard s’ouvrait pour Paris afin de récupérer les anciennes activités nucléaires d’Alstom, le mot d’ordre était la discrétion afin d’assurer le succès d’une opération hautement sensible politiquement.

Un dossier brûlant que l’exécutif a laissé traîner

"Moins on parle de ce dossier, mieux il se porte", nous signifie un industriel ayant planché sur le dossier. La motivation de ce silence? "L’orgueil" du locataire de l’Élysée, nous fait savoir la même source qui a souhaité conserver l’anonymat. Pour sa part, Philippe Petitcolin rend hommage au travail effectué par Frédéric Pierucci.

"Il n’y a aucune chance qu’une initiative qui porte son nom aboutisse, car son histoire rappelle à quel point nous sommes incapables de défendre nos intérêts", estime-t-il toutefois.

En somme, créditer Frédéric Pierucci, qui fut abandonné par la France, d’avoir permis à l’Hexagone de récupérer sa souveraineté sur son nucléaire ne collerait pas vraiment avec l’image d’un Emmanuel Macron sauveur des intérêts industriels français.
Affaire Alstom: l’Élysée pointé du doigt par le président de la commission d’enquête
Un rôle qui cadre de toute façon mal avec les critiques qu’Olivier Marleix avait formulées à son égard. Alors président de la Commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, le député LR avait fustigé la responsabilité de l’État –jusqu’à l’Élysée– dans le fiasco industriel Alstom, ainsi que dans d’autres dossiers menés depuis Bercy sous la houlette de Macron et ayant mené à la perte de fleurons industriels tricolores au profit d’intérêts étrangers. Des groupes tels que Lafarge, Alcatel ou encore STX dont les ventes avaient irrigué le milieu parisien de la finance et du conseil, juste avant les présidentielles de 2017. Dénonçant un "pacte de corruption", Olivier Marleix finira par saisir le parquet de Paris en janvier 2019.

Silence et discrétion toujours de mise à Paris

Macron serait-il donc un pompier-pyromane? "Si on le dit, il ne va pas laisser l’opération se faire", insiste un autre fin connaisseur du dossier, qui ne souhaite pas être nommé. "Ce n’est pas non plus le Roi!" s’emporte pour sa part Philippe Petitcolin, agacé par cette volonté de ne pas faire de vagues. Pour lui, au contraire, cette affaire doit faire du bruit.
Selon le responsable syndical l’activité s’avère même profitable, grâce aux contrats d’entretien, la moitié des centrales nucléaires dans le monde étant équipées de turbines Arabelle. Mais selon lui, il ne suffit pas de "planter un drapeau français sur l’usine": cette reprise des activités nucléaires d’Alstom ne doit pas se limiter au seul contexte politique, mais être cohérente sur le plan industriel. Une cohérence qui commence par assurer un avenir à la filière nucléaire en France, estime-t-il, notamment en annonçant le lancement des chantiers des futurs EPR et en s’assurant que l’atome ne soit pas évincé de la taxonomie verte européenne par Bruxelles.
Une partie qui est loin d’être gagnée
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