"Décrispation" entre l’Arabie saoudite et l’Iran? "Sur le fond, les tensions restent importantes"

Le roi saoudien a fait part de son souhait de renouer avec l’Iran. Indépendamment de ces pourparlers, de nombreuses tensions perdurent au Moyen-Orient. Le réchauffement des relations bilatérales serait aussi lié au dossier du nucléaire iranien.
Sputnik
Et si l’Arabie saoudite et l’Iran enterraient définitivement la hache de guerre?
En tout cas, c’est ce que laisse à penser la dernière intervention du roi saoudien Salmane ben Abdelaziz Al Saoud lors de la 76e session de l’Assemblée générale de l’Onu. "L’Iran est un pays voisin et nous espérons que nos premiers entretiens avec lui aboutiront à des résultats tangibles pour instaurer la confiance", a déclaré le chef du royaume wahhabite. Il s’est dit désireux d’"ouvrir la voie à la réalisation des aspirations de nos peuples dans des relations de coopération fondées sur l’adhésion aux principes et résolutions de la légitimité internationale".

Des Iraniens et des Saoudiens à Bagdad

"Chacun a intérêt à calmer le jeu", estime Pierre Berthelot, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE) et directeur de la revue Orients stratégiques. En effet, les deux puissances régionales n’ont plus de relation diplomatique depuis le 3 janvier 2016 suite à l’exécution de Nimr Baqr al-Nimr, un haut dignitaire chiite saoudien, et des attaques visant l’ambassade saoudienne à Téhéran.
"On est dans une phase d’ouverture, de négociations et de décrispation des relations bilatérales. Chacun n’est pas mécontent de faire un pas vers l’autre. À terme, cela pourrait être positif pour la stabilité régionale", affirme-t-il au micro de Sputnik.
Même le prince héritier Mohamed Ben Salmane, pourtant connu pour ses prises de position frontales à l’encontre de Téhéran, allant même jusqu’à comparer le guide suprême à Adolf Hitler, a laissé sous-entendre qu’il souhaitait nouer de bonnes relations avec l’Iran. L’homme fort du régime saoudien avait en effet déclaré en avril dernier qu’il souhaitait se rapprocher de son voisin iranien.
Mohammed ben Salmane
Ce réchauffement entre les deux ennemis régionaux, certes encore tout relatif, a été initié par une série de rencontres en catimini en Irak. Selon le Financial Times, Bagdad jouerait les médiateurs entre les deux pays. D’ailleurs, Iraj Masjedi, l’ambassadeur iranien en Irak, a affirmé le 31 août qu’il y aurait prochainement un nouveau cycle de négociations avec l’Arabie saoudite. De quoi se rapprocher encore d’une réconciliation?

L’Arabie saoudite en difficulté face aux Houthis

"Ça, c’est en apparence, parce que sur le fond, les tensions restent importantes entre les deux pays", tempère toutefois Pierre Berthelot. À travers tout le Moyen-Orient, les alliances de Riyad et Téhéran sont diamétralement opposées. De la Syrie à l’Irak en passant par le Liban, Riyad et Téhéran soutiennent des camps opposés. Mais surtout au Yémen: embourbée dans ce conflit depuis 2015, l’armée saoudienne peine à y trouver une issue face à la résistance des Houthis, soutenue financièrement et militairement par l’Iran.
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Cette guerre impacte durement l’économie saoudienne, tributaire de ses revenus pétroliers, et mettrait à mal la réalisation du plan "Vision 2030", destiné à moderniser le pays et accueillir de nouveaux investisseurs. Malgré sa volonté affichée d’ouverture, le roi saoudien s’est voulu clair en avertissant que les relations bilatérales devaient être fondées sur le respect de la souveraineté nationale et la cessation du soutien aux "milices sectaires". Sans les nommer, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud visait là les rebelles yéménites. En effet, ces derniers ciblent régulièrement l’Est saoudien et les sites d’Aramco. La dernière attaque contre la compagnie pétrolière saoudienne date du 5 septembre.
Les inquiétudes saoudiennes restent nombreuses: "Riyad attend que Téhéran fasse pression sur ses relais locaux pour réduire la pression sur les populations sunnites", souligne le chercheur associé à l’IPSE. L’Arabie saoudite reproche en effet à l’Iran de marginaliser la communauté sunnite dans plusieurs pays arabes.
"Les deux pays se méfient mutuellement. Du côté iranien, ils veulent également des garanties sur un contrôle de l’influence des religieux wahhabites profondément anti-chiites. Pour qu’il y ait une vraie décrispation, il faut que les deux pays fassent un pas vers l’autre, mais ce n’est pas gagné", précise le directeur de la revue Orients stratégiques.
"Il y a aussi la question des alliances régionales qui est fondamentale pour la suite des relations entre les deux pays. L’Iran se rapprochera de l’Arabie saoudite si Riyad ne franchit pas le pas décisif de la normalisation avec Israël", ajoute-t-il. Mais le prince héritier ne cacherait pas son intérêt de se rapprocher de l’État hébreu. Avec Yossi Cohen, l’ancien chef du Mossad, Benyamin Netanyahou avait rencontré en novembre dernier Mohamed Ben Salmane dans la ville futuriste de Neom, au bord de la Mer rouge. En outre, les deux pays ont des approches quasi antinomiques sur la question palestinienne: alors que les uns se rapprochent de Tel-Aviv, les autres aident militairement le Hamas.

Certains pays ne souhaitent pas la paix régionale

Mais le rapprochement saoudo-iranien se jouerait aussi à l’international. "Cette question est elle-même liée à des enjeux plus globaux sur la question du nucléaire", souligne Pierre Berthelot. Riyad s’inquiète au plus haut point de voir son voisin se doter de l’arme nucléaire. Selon les dernières estimations du mois d’août, Téhéran aurait enrichi son stock d’uranium à 60%, soit bien au-delà de la limite autorisée de 3,67%. De ce fait, l’Arabie saoudite espère ainsi compter sur l’appui de Washington, principal allié des Saoudiens au Moyen-Orient, pour faire pression sur Téhéran.
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Mais avec l’arrivée des conservateurs au pouvoir, les mollahs seraient moins enclins à faire des concessions. "Déjà qu’avec Rohani, les modérés y allaient avec des pincettes, aujourd’hui il y a zéro confiance", estime le directeur de la revue Orients stratégiques.
"Mais c’est là, la difficulté majeure. La normalisation avec l’Arabie saoudite est liée avec le dossier du JCPoA. Mais si les États-Unis veulent arriver à un accord, ils doivent décloisonner et dissocier le volet du nucléaire du volet de l’influence régionale. Tant que les deux sujets sont liés, on n’avancera ni sur l’un ni sur l’autre. C’était l’erreur de Trump et aujourd’hui, c’est impensable pour l’Administration iranienne", précise Pierre Berthelot.
Depuis la sortie unilatérale américaine de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018 et le durcissement des sanctions économiques à l’égard de l’Iran, le gouvernement iranien est en effet devenu nettement plus exigeant. Il a mis un point d’honneur à ne pas laisser entrer dans les négociations la question de l’influence régionale et de son programme de missiles balistiques. Compte tenu des nombreux points d’achoppements, le réchauffement des relations irano-saoudiennes ne serait pas pour demain.
"À moyen ou à long terme, il y a beaucoup d’incertitudes pour une paix régionale. Certains pays sont défavorables à un partenariat stratégique entre l’Arabie saoudite et l’Iran; ils préfèrent garder une instabilité permanente dans la région, car ils y trouvent leur intérêt", conclut le chercheur associé à l’IPSE.
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