Les talibans, la "meilleure arme" de Washington face à Daech en Afghanistan?

Trois attentats, dont deux déjà revendiqués par Daech*, sont survenus en cinq jours à Jalalabad, à l’Est de l’Afghanistan. La lutte contre l’EI reste l’un des rares points d’accord entre les talibans* et le monde occidental.
Sputnik
Depuis quelques jours, personne ne semble marcher sereinement dans les rues de Jalalabad, dans la province du Nangahar, à l’Est de l’Afghanistan. Le spectre du terrorisme plane sur la grande ville après le troisième attentat perpétré en moins de cinq jours, ce 22 septembre. Si elle n’a pas été revendiquée, tout porte à croire que la fusillade qui a fait trois morts, dont deux talibans*, est le fait de l’État islamique* province du Khorassan (EI-K*).
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En effet, dans la même ville, le groupe djihadiste a déjà revendiqué deux attaques contre les forces talibanes les 18 et 19 septembre derniers, faisant au moins deux morts et une vingtaine de blessés. Il s’agit des premiers attentats depuis le départ des troupes occidentales le 30 août dernier. Et ceux-ci ont eu lieu dans la province du Nangarhar, foyer du groupe depuis son implantation afghane en 2015.

"L’ennemi de mon ennemi est mon ami"

Une menace qui pourrait inciter les puissances occidentales, toujours réticentes à collaborer avec le pouvoir taliban*, à afficher davantage une entente déjà objective:
"C’est un secret de polichinelle: pour les Américains, les talibans* sont des supplétifs et leur meilleure arme contre l’EI", explique au micro de Sputnik Emmanuel Dupuy, président de l’IPSE (Institut Prospective et Sécurité en Europe).
Au-delà du monde occidental, "c’est également un combat commun pour les autres pays de la région", poursuit le chercheur, qui évoque notamment le Pakistan, la Chine ou encore l’Iran chiite, "tous directement menacés par les talibans*." Pour des raisons différentes, ces puissances régionales, auxquelles on peut ajouter les anciennes républiques soviétiques du Turkménistan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan, sont toutes perçues comme des régimes apostats par l’EI-K*. Comme son nom l’indique, l’État islamique du Khorassan a pour ambition de régner sur la province historique du Khorassan, en référence à cette vaste zone à l’Est de l’Iran, couvrant l’Afghanistan, une partie du Pakistan et de l’Asie centrale.

1.500 à 2.200 combattants

Tout porte d’ailleurs à croire que cette menace continuera de faire des dégâts dans un Afghanistan fragilisé, car pour l’heure, l’objectif de l’EI-K* est "d’exister."
"Il y a une continuation du caractère perturbateur de l’EI-K*, qui s’en prend au pouvoir, quel qu’il soit. C’était le cas pour le gouvernement afghan, c’est le cas pour les talibans*", précise Emmanuel Dupuy.
En effet, L’EI-K* "estime que les talibans* sont une cible", en partant du principe que "ceux-ci ont fait jeu et alliance avec les troupes occidentales, sinon ils n’auraient pas pu accéder au pouvoir aussi facilement." Ceux-ci veulent ainsi montrer aux forces les plus conservatrices du pays "que les talibans* se sont rangés du côté des agresseurs étrangers."
En effet, la vision de l’émirat islamique national est contestée théologiquement par Daech*. Pour ces derniers, le califat doit être transnational et même mondial. Sur ces bases, l’EI-K* ne fait pas de distinction entre les talibans* et les forces étrangères ou occidentales. Sur le plan stratégique, Daech* se positionne aux antipodes se son frère ennemi Al-Qaïda*. Djihad global avant d’instaurer un califat pour Al-Qaïda*, califat avant d’exporter le djihad global pour Daech*.
Cette indifférence vis-à-vis des cibles était d’ailleurs flagrante lors du sanglant attentat du 26 août aux portes de l’aéroport de Kaboul. L’EI-K* n’a pas fait dans le détail, tuant au moins 182 personnes, dont treize soldats américains, mais aussi des talibans*.

l’État afghan au bord de l’implosion

Pour atteindre ses objectifs, l’EI-K* dispose d’un pouvoir de nuisance non négligeable. Selon un rapport de l’Onu publié en juillet dernier, l’organisation terroriste compterait entre 1.500 et 2.200 combattants. D’autres rapports d’agences de renseignement avancent des estimations plus élevées et parlent de près de 4.000 membres. En 2016, les États-Unis estimaient même qu’il comptait jusqu’à 8.500 membres.
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L’enjeu est grand. Cette menace devient de plus en plus prégnante pour bon nombre d’acteurs autour du globe à mesure que l’Afghanistan dirigé par les talibans* donne des signes d’éclatement. En effet, les conditions économiques terribles font craindre un effondrement total du pouvoir central de Kaboul. Depuis le début du mois de décembre, 40% de la récolte de blé de l’Afghanistan a été perdue. Le prix de l’huile de cuisson a doublé. Et de toute façon, la plupart des Afghans n’ont aucune source de revenus, a récemment fait savoir David Beasley, le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial.
"Après des décennies de guerre et de souffrance, les Afghans sont peut-être confrontés à leur heure la plus périlleuse", a déclaré Antonio Guterres, le 13 septembre.
Antonio Guterres
Secrétaire général des Nations unies
"Le peuple afghan est confronté au potentiel effondrement d’un pays entier, d’un seul coup", prévenait le Secrétaire général de l’Onu. Les efforts internationaux pour éviter le pire sont en cours, L’Onu a reçu un milliard de dollars de promesses de dons pour l’Afghanistan et plusieurs puissances régionales comme la Chine et la Russie ont déjà acheminé une aide humanitaire au pays. Personne, à commence par les dirigeants internationaux, n’est à l’heure actuelle prêt à parier sur la survie de l’État afghan.
Un scénario du pire qui pourrait faire de l’Afghanistan un terreau fertile pour l’État islamique*. En 2014 déjà, les conflits en Syrie et l’anarchie rampante en Irak avaient permis au groupe d’obtenir une assise territoriale, et ainsi de fomenter des attaques dans la région et à l’étranger.
*Organisations terroristes interdites en Russie.
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