Lundi 20 septembre, à cinq jours de la Journée nationale d’hommage aux harkis, célébrée tous les 25 septembre depuis 2003, Emmanuel Macron a "demandé pardon" à cette communauté au nom de la France lors d’une cérémonie à l’Élysée en la présence de 300 de ses représentants. Le chef de l’État a également annoncé un projet de loi de "reconnaissance et de réparation" à l'égard de ces Algériens ayant choisi de combattre aux côtés de la France durant la guerre d’Algérie (1954-1962). Elle devrait être votée avant la fin de la session parlementaire, en février 2022.
"La République a contracté à leur égard une dette. Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance, nous n’oublierons pas. Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi la prison, je leur demande pardon. Nous n’oublierons pas. Depuis la République s’est ressaisie. Elle s’est engagée sur la voie de la vérité et de la justice", a déclaré le Président français.
À l’approche de l’élection présidentielle de mai 2022, la démarche de Macron suscite des réactions au sein de l’opposition. En effet, tout en saluant la démarche, plusieurs intervenants ont pointé des visées électoralistes du chef de l’État.
Février 2017, Alger. Alors qu’il est candidat à la présidentielle, Emmanuel Macron qualifie la colonisation française en Algérie de "crime contre l’humanité", déclenchant un tollé en France. Dans la lignée de cette déclaration, le Président élu fera plusieurs gestes en direction de l’Algérie pour un apaisement de la question mémorielle. Des gestes jugés insuffisants côté algérien.
Comment analyser et juger la portée des déclarations de Macron? Peuvent-elles réellement apporter une réparation aux souffrances et au déni subis par les harkis près de 60 ans après la fin de la guerre d’Algérie? Après feu Jacques Chirac, en 2001 et 2005, et François Hollande en 2016, ce nouveau geste de l’actuel Président de la République sera-t-il celui qui va mettre fin à la tragédie des harkis?
Par ailleurs, quelle lecture peut être faite de ce geste en Algérie? Qu’en est-il de l’État d’avancement du travail sur la question mémorielle entre les deux pays, notamment après le rapport Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, remis à Emmanuel Macron en janvier 2021?
Pour traiter ces questions, Sputnik a sollicité le Dr Youssef Girard, historien français spécialiste du mouvement national indépendantiste algérien. Pour lui, "en attendant de voir le contenu du projet de loi qui sera présenté à l’Assemblée nationale, il est clair que le Président Macron cherche à utiliser la carte des harkis pour augmenter son électorat au sein de cette communauté d’environ 800.000 personnes, si l’on compte les enfants et les petits enfants".
Gratter des voix à Marine Le Pen?
"Au-delà des harkis, Emmanuel Macron vise par sa demande "de pardon" et de réparation à séduire également les anciens pieds-noirs [les colons français et européens d’Algérie, rapatriés en France à la fin de la guerre, ndlr] qui forment un important électorat du Rassemblement national (RN) et de sa potentielle rivale en 2022, Marine Le Pen", affirme le Dr Girard. Et de préciser qu’il s’agit de "tous les nostalgiques de l’Algérie française qui n’arrivent pas encore à se défaire du syndrome du "Paradis perdu"".
Concernant le probable contenu du projet de loi qui sera présenté à l’Assemblée nationale, l’historien estime qu’"il y aura, comme annoncé, des indemnisations et probablement des reconnaissances symboliques. Cependant, il ne faut pas se faire trop d’illusions, il vaut mieux attendre le texte en question pour juger du sérieux ou non de la démarche".
Quid du travail mémoriel avec l’Algérie?
En 2020, Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de la France dans l’assassinat du militant communiste Maurice Audin et de l’avocat Ali Boumendjel, ouvert une partie de l’archive coloniale, notamment celle concernant les disparus, et restitué 24 crânes d’insurgés algériens entreposés auparavant au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Il a également commandé un rapport sur la question mémorielle à l’historien Benjamin Stora qui lui a fait 22 propositions dans le cadre d’une démarche graduelle pour ouvrir ce chantier sensible des deux côtés de la Méditerranée. Un rapport rejeté par les autorités algériennes car il n’intègre pas la question des excuses pour la période coloniale, la restitution de la totalité de l’archive et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires.
"Il faut d’abord noter que la démarche entamée par Macron envers les harkis ne s’adresse strictement pas aux Algériens", précise Youssef Girard, ajoutant qu’elle "relève de la politique intérieure de la France. Je ne pense pas que cela puisse susciter une réaction des autorités algériennes, habituées à ce genre de gestes, notamment à la veille d’échéances électorales".
Néanmoins, le Dr Girard indique "concernant le travail mémoriel [que] nous ne pouvons pas dire que les choses avancent vraiment. Le rapport Stora, qui était destiné aux Français, comporte certaines propositions symboliques et d’autres importantes, comme le travail conjoint sur les essais nucléaires. Cependant, les archives n’ont toujours pas été déclassifiées ni restituées aux Algériens. Idem pour les plans de pose des mines antipersonnel durant la guerre qui continuent à faire des victimes, notamment aux frontières avec la Tunisie et le Maroc".
Et de rappeler que cette année, "le 17 octobre, il y aura une cérémonie de commémoration de la répression des travailleurs algériens en France le 17 octobre 1961. Macron fera-t-il un geste similaire envers les familles des victimes, comme il l’a fait pour les harkis? L’avenir nous le dira".
L’épineuse question des déchets nucléaires
Selon le rapport de la mission des experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) menée en 2005 dans le Sahara algérien, la France a procédé entre 1960 et 1966 à 57 expérimentations nucléaires. Quatre explosions atmosphériques dans la région de Reggane, du nom de code Gerboise (bleue, blanche, rouge et verte), 13 explosions souterraines à In Ekker, 35 essais froids complémentaires à Hammoudia (région de Reggane) et cinq expérimentations sur le plutonium dans une zone à In Ekker, située à 30 kilomètres de la montagne où ont eu lieu les essais souterrains.
Selon un rapport du ministère français de la Défense datant de 2007, Gerboise bleue, dont l’explosion a eu lieu le 13 février 1960, était une bombe d’une puissance de 70 kilotonnes, soit trois fois plus puissante que celles d’Hiroshima et Nagasaki en 1945. Les trois autres avaient une puissance inférieure à cinq kilotonnes chacune.
"Alors que les tirs aériens n’ont fait l’objet d’aucun incident particulier, quatre des 13 expériences souterraines (Béryl, Rubis, Améthyste et Jade) n’ont pas été totalement confinées", explique le ministère de la Défense. "Il faut y ajouter l’accident du 19 avril 1962 survenu à l’occasion d’un tir de pastille (il s’agit d’expérimentation de physique du plutonium, sans dégagement d’énergie nucléaire, mettant en jeu de faibles quantités de cet élément)", souligne-t-il.
En Algérie, cette question est considérée comme la plus importante dans le travail mémoriel avec la France à cause des déchets radioactifs qui continuent de faire des victimes dans le sud du pays où ont eu lieu les expériences nucléaires françaises. En effet, en avril, lors de la visite à Alger du chef de l’état-major des Armées françaises, le général François Lecointre, son homologue algérien, le général Saïd Chanegriha, a appelé à la participation de la France dans la décontamination des sols. Il a également réitéré la demande de son pays aux autorités françaises quant à la déclassification et la remise des cartes situant les sites où ont eu lieu les essais nucléaires.
Pour le Dr Youssef Girard, "tant qu’il n’y a pas d’avancées notables dans ce dossier, nous ne pouvons pas parler de travail mémoriel entre les deux pays du fait que les expériences nucléaires françaises continuent à faire des victimes, ce qui est en soit un autre crime contre l’humanité".
"Il est préférable de parler de travail d’historiens et de techniciens de déminage et de décontamination, au lieu de continuer à perdre le temps sur le concept de travail mémoriel", poursuit-il, avant de conclure: "la clé est entre les mains des autorités françaises qui doivent ouvrir l’accès aux archives civiles et militaires".