Le conseiller du grand mufti de Syrie: «les sanctions US sont un fléau pour tous les Syriens»

Bachar el-Assad était en Russie. La présence étrangère illégale et une guerre économique déclarée à la Syrie ont été au cœur des pourparlers avec son homologue russe. Analyse de Bassel Kas Nasrallah, conseiller politique du grand mufti de Syrie.
Sputnik
«Les Américains font le jeu du terrorisme pour déstabiliser Moscou et Damas. Ils ne veulent pas que les Russes étendent leur influence trop facilement dans la région. Donc ils maintiennent illégalement des forces sous prétexte d’aider les Kurdes», assène d’emblée au micro de Sputnik le conseiller du grand mufti de Syrie.
Bassel Kas Nasrallah revient ainsi sur l’un des principaux problèmes discutés par les Présidents Assad et Poutine à Moscou. Le chef de l’État syrien s’y est discrètement rendu le 13 septembre. Ils ont alors passé en revue enjeux et défis de l’avenir politique et sécuritaire en Syrie, dont la présence illégitime de troupes étrangères en Syrie.
«Les forces armées étrangères, sans décision de l’Onu, sans votre accord [celui du gouvernement syrien, ndlr], sont présentes sur certains territoires du pays, ce qui est manifestement contraire au droit international et ne permet pas de faire le maximum d’efforts pour consolider le pays et progresser sur la voie de sa reconstruction», a notamment déclaré le chef du Kremlin. Pour mémoire, les forces russes sont, elles, intervenues en Syrie depuis 2015 avec l’aval de Damas.

Les Américains toujours présents à l’Est de l’Euphrate

Sergueï Ryabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a été plus direct sur le sujet. Il a déclaré le 14 septembre que «l’une des principales raisons de la poursuite de la crise en Syrie est la présence illégale des États-Unis sur son territoire», tout en affirmant que Washington cherchait à diviser la Syrie.
Et cette présence étrangère illégale risque bien de s’inscrire dans la durée.
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«Nous ne cherchons pas à changer de régime à Damas, mais nous essayons certainement de changer les actions du régime Assad. C’est pourquoi nous avons des sanctions comme la loi César, parmi d’autres mesures auxquelles le régime et ses partisans sont confrontés.» C’est ainsi que Joey Hood, secrétaire d’État adjoint par intérim aux Affaires du Proche-Orient, a justifié la politique américaine vis-à-vis de la Syrie.
Et c’est là où le bât blesse. Outre la présence de 900 soldats américains qui empêche littéralement la Syrie de mettre la main sur l’Est de l’Euphrate, région très pétrolifère, les mesures coercitives imposées par Washington continuent d’asphyxier l’économie syrienne.

La pauvreté touche 90% de la population

«Certains États ont imposé des sanctions au peuple syrien, qui peuvent être qualifiées d’anti-humaines, antiétatiques et illégitimes», a dénoncé à ce propos le Président russe face à son homologue syrien. Entrée en vigueur en juin 2020, la loi César visée par ces propos, interdit littéralement à la Syrie de commercer avec l’extérieur.
«Les sanctions américaines sont un fléau pour tous les Syriens. En imposant cette guerre économique d’usure, les Américains ne veulent pas reconnaître leur défaite. La Syrie a tenu face à l’arrivée massive de djihadistes sur son sol, mais aujourd’hui, la crise économique est la goutte d’eau qui fait déborder le vase», déplore Bassel Kas Nasrallah.
En effet, 411 personnalités syriennes et 111 entreprises, banques et organes étatiques sont dans le viseur de Washington. De ce fait, ce sont tous les pans de la société qui en pâtissent. La classe moyenne se raréfie et la pauvreté touche environ 90% de la population. Avant la guerre, le salaire mensuel moyen des fonctionnaires syriens était de 20.000 livres syriennes, soit environ 400 dollars à l’époque. Malgré les récentes augmentations accordées par le gouvernement, le pouvoir d’achat des salariés a fondu à cause de l’inflation et de la dépréciation de la monnaie. Aujourd’hui, un employé de l’État touche 55.000 livres syriennes, mais cela ne représente plus qu’une quinzaine de dollars!

Poche d’Idlib, dernier bastion djihadiste

Engluée dans une crise économique majeure, la Syrie doit toujours faire face à la menace djihadiste. Même si Bachar el-Assad a salué les «résultats significatifs obtenus par la Russie et la Syrie dans la libération des territoires occupés par les combattants et dans la destruction du terrorisme», «la guerre n’est pas encore terminée», résume le conseiller du grand mufti de Syrie. Il reste des poches de djihadistes à Idlib, qui échappent toujours au contrôle des forces gouvernementales alors que 90% du territoire syrien sont officiellement débarrassés des terroristes. Le soutien terrestre et aérien russe y a contribué, souligne Bassel Kas Nasrallah.
«Dans cette relation russo-syrienne, il y a un échange de bons procédés. La Russie a besoin de la Syrie pour redevenir une grande puissance et éviter la propagation du djihadisme à ses frontières. Et la Syrie a besoin de la Russie pour lutter efficacement contre la menace terroriste. Il y a une complémentarité de fait entre les deux pays. Mais le pays n’est pas encore libéré du terrorisme», poursuit-il.
Après la reprise de Deraa, Bachar el-Assad veut pacifier Idlib, mais Erdogan lui barre la route
Après la reprise de la province de Deraa au sud du pays le 8 septembre dernier, tous les regards sont tournés donc vers le dernier réduit djihadiste d’Idlib. «Le Nord-ouest de la Syrie est contrôlé illégalement par la Turquie, qui entretient des liens avec les mouvances djihadistes présentes sur place», avance le conseiller syrien, «c’est devenu une zone ingouvernable». Incendies criminels, attaques de transports, de troupes, voitures piégées, enlèvements, prises d’otages, affrontements entre différents groupes djihadistes… Le ministère russe de la Défense a annoncé le 12 septembre que les organisations terroristes déployées dans la zone d’Idlib avaient mené vingt-neuf attaques en tout genre au cours des dernières 24 heures.
La Turquie disposerait de plus de 15.000 soldats sur place pour maintenir son influence dans la zone. Ankara a été à maintes reprises accusé d’envoyer des supplétifs syriens de l’armée turque dans des opérations extérieures, comme dans le Haut-Karabakh. Mais la sécurisation de cette région répond à un intérêt vital pour le gouvernement syrien. Plusieurs axes autoroutiers passent dans la zone: la route M4, reliant Lattaquié à Alep, et la route M5, connectant Damas à Alep.
Mais il en va surtout de la souveraineté syrienne.
«Les pays occidentaux, à l’aide de leurs alliés régionaux, ont tout fait pour diviser la Syrie. Aujourd’hui, le gouvernement syrien, avec le soutien de ses alliés, veut reconquérir chaque parcelle de terrain illégalement occupée par une puissance étrangère. Et on sait très bien que la Turquie l’en empêche à l’ouest et au nord à la frontière», conclut le conseiller syrien.
Entre les présences illégales turque et américaine et le régime de sanctions de Washington, la Syrie n’est pas au bout de ses peines.
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