Près d’un an après «les marches pacifiques» d’une partie de l’opposition et de la société civile au Cameroun, les avocats des manifestants emprisonnés crient à l’injustice. Las d’attendre une issue favorable dans les multiples procédures en cours, des collectifs d’avocats sont montés au créneau pour dénoncer «l’arbitraire» de la justice. Vendredi 10 septembre, à Douala, un collectif d’avocats de la société civile a exprimé son ras-le-bol, suite au maintien en détention «sans motifs véritables» à la prison de Douala de cinq jeunes, arrêtés à la veille des manifestations du 22 septembre 2020 au Cameroun. Ces derniers, membres du mouvement de la société civile Stand-up For Cameroon, avaient été interpellés alors qu’ils prenaient part à «une réunion politique d’information» au sujet de la marche organisée par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), principal parti d'opposition, et ses alliés. Leurs avocats dénoncent «un procès politique», s’insurgent contre la justice «qui torture ces jeunes qui ont pour seul crime d’avoir participé à une réunion politique d’information. Ils sont embastillés, torturés et détenus illégalement depuis un an, et vivent dans la précarité et la maladie».
Pas «d'accès à une justice équitable»?
Ces jeunes sont poursuivis entre autres pour «tentative de conspiration et d’insurrection». Pour le collectif des avocats, «Nous sommes dans tout sauf dans du droit. Les procès ont déjà fait l’objet de cinq renvois avec des motifs de plus en plus fallacieux et ces jeunes vivent dans une précarité absolue», a déclaré l’un des avocats face à la presse.
La sortie de ce collectif survient 24 heures après un mouvement similaire. Jeudi 9 septembre, à Yaoundé, le collectif d'avocats commis à la défense des militants du MRC de Maurice Kamto, principal opposant de Paul Biya, a renoncé à poursuivre la procédure devant la justice, face à l'impossibilité d'avoir «accès à une justice équitable».
«Le collectif déclare ne pouvoir s'associer à l'arbitraire et à l'illégalité, et prend la lourde et délicate décision de son retrait des procédures en cours», ont-ils écrit dans une déclaration publique.
Le 22 septembre 2020, la police avait violemment réprimé les marches organisées par le MRC et ses alliés. Le principal opposant au pouvoir du Président Paul Biya avait menacé d’appeler au soulèvement populaire si Yaoundé persiste à organiser de nouvelles élections avant d’avoir résolu la crise séparatiste et procédé à une réforme consensuelle du code électoral. Sur les quelque 500 militants et cadres du MRC arrêtés, selon le parti, 124 sont toujours détenus dans les prisons du pays, et poursuivis notamment pour «tentative d'insurrection».
«La justice camerounaise est la plus indépendante de la sous-région du continent»
Le collectif des avocats de la défense des militants du MRC dénonce «l’absence d’indépendance et d’équité des juges», le «refus systématique et manifeste d’appliquer la loi». Revenant pour Sputnik sur quelques cas qui ont sous-tendu leur prise de décision, Me Hippolyte Meli, porte-parole de ce collectif, souligne par exemple que «279 procédures de demande d'habeas corpus tendant à obtenir la libération immédiate des prisonniers, fondées sur l'illégalité, l'illicéité des arrestations sans mandat de justice, les gardes à vue anormalement prolongée dans des cellules étouffantes, des tortures physiques morales et psychologiques ont été introduites. Tous les juges saisis ont refusé de le constater et se sont bornés à rejeter sans motivation».
«Les demandes de mise en liberté, sous caution ou sous garant n'ont pas connu de réponse en justice. Elles ont été ignorées, et quelques-unes rejetées malgré les réquisitions favorables du ministère public», liste-t-il entre autres.
Des éléments qui, poursuit Me Hippolyte Meli, ont conduit la défense à estimer qu'elle n'avait pas affaire à de «véritables juges, au sens de l'arbitre neutre qui ne prend pas part au procès pour une partie au procès. Ils avaient déjà abandonné et aliéné leur indépendance et leur impartialité, rendaient des décisions sans se soucier ni de leur conscience ni de la loi. C'est cet arbitraire que nous décrions et qui justifie notre retrait».
«C'est une application de la défense de rupture que nous avons volontairement baptisée "position de rupture". La défense ne reste pas au prétoire infecté par des personnes invisibles [allusion à l'intervention de supposés donneurs d'ordre, ndlr]. Elle rompt sa relation avec le tribunal qu'elle ne reconnaît plus également», déplore l’avocat.
Les autorités camerounaises ont pris l'habitude de réfuter systématiquement ces accusations. Dans un récent entretien accordé à Sputnik, Jean De Dieu Momo, ministre délégué auprès du ministre de la Justice soulignait l’indépendance du système judiciaire local: «Le pouvoir judiciaire, contrairement à ce que les gens pensent, n'est pas tenu par le ministère de la Justice […]. D’ailleurs, la justice camerounaise est la plus indépendante de la sous-région du continent».
Dans une déclaration commune à la suite du boycott de leurs avocats, les détenus concernés annoncent avoir eux aussi décidé «de ne plus se soumettre à une parodie de jugement». Devant la presse, à Yaoundé, le 9 septembre, Maurice Kamto a dit prendre acte de cette décision du collectif des avocats «de se retirer de la procédure, car personne ne peut leur en vouloir de ne pas accepter de servir de caution à une parodie de justice. J’espère qu’avec cet acte, à défaut pour cette justice de se ressaisir, les Camerounais comprendront que nous entrons dans une période grave de turbulence», a-t-il commenté.