Est-il possible de créer un organe humain en dehors du corps d’un individu pour remplacer celui endommagé d’un patient? Oliver Ullrich, professeur à l’université de Zurich, et son collègue d’Airbus Defence and Space Julian Raatschen -qui tente de faire se développer des tissus humains à bord de la Station spatiale internationale (ISS), expliquent dans une interview exclusive à Sputnik que l’espace n’est plus une zone chère et inaccessible aujourd’hui et que les recherches spatiales pourront améliorer la vie de l’humanité sur Terre. Leur projet est baptisé 3D Organoïdes dans l'espace.
La recherche autour des organoïdes, des tissus en 3D dérivés de cellules souches, possède une importance élevée de nos jours. En effet, cette innovation pourrait être révolutionnaire concernant la médecine et biologie du futur. En outre, les scientifiques soulignent que cette méthode peut réduire les expériences faites sur les animaux.
«Les organoïdes sont des organes 3D comme des tissus de taille minime. Actuellement, les chercheurs et l'industrie pharmaceutique emploient des cultures cellulaires ou des tests sur des animaux. Les cultures de cellule utilisées aujourd'hui sont plates d'habitude et n'ont pas grand-chose à voir avec les tissus 3D réels. Les résultats expérimentaux avec des tissus animaux ne peuvent être transférés aux organes/tissus humains que dans une mesure limitée. Avec les organoïdes cultivés dans l'espace, vous pouvez surmonter ces inconvénients. Vous pouvez avoir des tissus d'organes humains en 3D pour tester de nouveaux médicaments», explique Julian Raatschen, d'Airbus Defence and Space.
Les organoïdes pourraient avoir un impact dans plusieurs domaines, précise Oliver Ulrich. Il dresse une liste de leurs usages possibles en médecine: pour la recherche, ils peuvent servir de modèles de maladies et permettre de mener moins d’expérience sur les animaux. Les organoïdes peuvent être utilisés pour tester l'efficacité et la toxicité de nouveaux médicaments sur les tissus du patient, ce qui permet de diminuer les expériences animales et de réduire les dépenses.
En ce qui concerne leur emploi futur, le professeur évoque une transplantation de tissus cultivés à partir de cellules souches provenant du corps même du malade.
Oliver Ullrich et Cora Thiel dirigent le projet de recherche de l’université de Zurich Space Hub et la coopération industrielle avec Airbus Defence and Space
© Photo Regina Sablotny
Ce que les scientifiques de Zurich et d’Airbus cherchent à savoir cette fois, en envoyant fin août des cellules souches humaines tant masculines que féminines sur l’ISS jusqu’en octobre, c’est quel sera le résultat à proprement parler de la culture.
«La dernière mission portait sur le principe, cette fois sur le produit. Est-il de qualité? Combien de temps peut-on le conserver? Peut-il être congelé et décongelé? Tout cela doit être connu avant que la question d'une demande ne se pose», énumère Oliver Ulrich.
Si la première réussit, la prochaine étape consistera à établir son utilisation en recherche et développement, tant comme modèles de maladies que dans le remplacement des expérimentations sur les animaux.
Les cellules souches humaines préalablement préparées en laboratoire sont placées dans le bioréacteur CubeLab
© Photo Julian Raatschen, Airbus Defence and Space
Le coût des recherches dans l’espace
Pourquoi mener ce genre des expériences dans l’espace? Selon le professeur Oliver Ullrich, c’est plus simple et économiquement plus intéressant car «sur Terre, tout a besoin d'une structure de support à cause de la gravité».
«Les organoïdes, bien sûr, peuvent être fabriqués soumis à la gravité terrestre. Mais avec la gravité de la Terre, de plus complexes procédures en laboratoire sont nécessaires […]. L’idée est de réaliser ces procédures en microgravité parce qu'elles pourraient être plus simples, plus robustes et finalement plus rentables. Parce que si le transport dans l'espace est moins cher qu'une procédure comparable sur Terre, alors il devient économiquement intéressant», détaille-t-il.
Reste à savoir si les organes cultivés dans l’espace seront réellement accessibles à tous à l’avenir ou si cette technologie sera tellement onéreuse que seuls les plus riches pourront se la permettre.
Mais Oliver Ullrich et son collègue Julian Raatschen insistent sur le fait que les recherches dans l’espace ne sont plus aussi dispendieuses que par le passé. Ils affirment qu’au contraire de nos jours, pour ce genre d’études, cela semble être l’endroit le plus attractif du point de vue économique.
«La recherche dans l'espace aujourd'hui n'est pas plus coûteuse que les projets de taille comparable sur Terre. L'idée que la recherche spatiale coûte cher est une relique. Aujourd'hui, transporter un kilogramme de fret à l'ISS et le retour coûte un peu plus de 5.000 dollars US. Ce qui rend l'utilisation de l'espace si onéreuse, c'est la production en petits lots d'équipements et d'instruments ainsi que la bureaucratie. Les deux sont solvables. L'orbite terrestre inférieure est un espace économique de la Terre», décrit le professeur de l’université suisse.
Lancement de la mission de ravitaillement Space X CRS-20 de Cape Canaveral, aux États-Unis, le 6 mars 2020: la première expérience UZH-Airbus du projet 3D Organoïdes dans l'espace est envoyée vers l'ISS
© Photo NASA/Tony Gray and Tim Terry
Pour sa part, le scientifique d’Airbus proteste aussi contre l’argument du caractère inégalitaire de cette technique innovante, si elle devait arriver un jour dans notre quotidien.
«Notre objectif est de la rendre abordable pour tout le monde. La recherche dans l'espace n'est plus si coûteuse. […] L'orbite terrestre basse devient de plus en plus accessible et les coûts devraient donc baisser dans les années à venir. Avec notre projet, nous aimerions utiliser l'environnement spatial pour rendre la vie sur Terre meilleure pour tous et pas seulement pour un groupe spécifique de personnes», ajoute-t-il.
Quelle place dans la science de demain?
«Nous espérons que nous pourrons rendre la vie des chercheurs et de l'industrie pharmaceutique plus facile en fournissant des organoïdes 3D de haute qualité via une procédure standardisée et commercialisée à l'avenir. Par exemple, cela pourrait aider à identifier la toxicité précoce dans le nouveau développement de médicaments, réduire la quantité de tests animaux nécessaires. À l'avenir, ils pourraient être utilisés pour guérir les organes endommagés», assure Julian Raatschen.
Toutefois, pour Oliver Ullrich il ne faut pas se précipiter. Il rappelle que «les prédictions sur l'avenir sont impossibles et l'arrogance de pouvoir prédire l'avenir est une faiblesse bien connue de l'Homme». Il fait, en outre, le point sur la complexité des processus liés aux organoïdes et leur intégration.
«Dans la perspective actuelle, la complexité structurelle et moléculaire des organes entiers est si grande qu'un remplacement par des éléments constitutifs, c'est-à-dire des organoïdes, combiné à des processus de bio-impression ne semble guère possible.»
«Nous visons clairement à cultiver un produit sur l'ISS qui puisse être utilisé dans la pratique», conclut-il.