Après la reprise de Deraa, Bachar el-Assad veut pacifier Idlib, mais Erdogan lui barre la route

Au terme de deux mois de siège, l’armée de Bachar el-Assad est entrée dans Deraa. Les djihadistes ont fui vers Idlib. Ce dernier bastion est sous influence turque. C’est la prochaine cible de Damas, estime Bassam Tahhan, géopolitologue.
Sputnik
«La reprise d’Idlib sera inévitable», prédit Bassam Tahhan. Après la victoire de Deraa, Idlib est l’ultime place forte qui résiste au pouvoir syrien. Lentement mais sûrement, el-Assad reprend chaque partie de son territoire. «C’est la politique du pas à pas», estime le politologue franco-syrien.
Après deux mois d’offensive, l’armée régulière est enfin entrée dans Deraa, au sud-ouest de la Syrie. Berceau de la révolution, la ville n’a cessé de passer d’un camp à l’autre au cours du conflit. Le 8 septembre, les drapeaux syriens et russes ont été hissés sur les bâtiments administratifs. Les milices locales sécurisent la zone. Damas a commencé à installer des postes de contrôle. Le gouvernement syrien entend sanctuariser cette zone une bonne fois pour toutes. La Russie a joué un rôle crucial dans la reprise de la cité. Moscou a négocié une trêve permettant aux combattants djihadistes de quitter la province pour courir se réfugier à Idlib.

Sept soldats syriens tués à Deraa

«Comme pour chaque province reprise, les djihadistes ont le choix: déposer les armes ou quitter la zone. Au départ, il y a le siège de la ville, les approvisionnements sont coupés, les zones militaires sont bombardées. Dans une majeure partie des cas, cela suffit à retourner les civils contre les djihadistes. Et c’est une stratégie gagnante», affirme Bassam Tahhan au micro de Sputnik
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Mais la reprise du territoire ne rime pas nécessairement avec la pacification de la zone. Le 9 septembre, alors qu’un véhicule de ravitaillement de l'armée syrienne se rendait dans l’ancienne ville assiégée, un engin explosif a tué sept soldats et en a blessé plusieurs. «Cette province limitrophe a longtemps reçu l’aide de la Jordanie et de la base américaine à Al-Tanf», précise le spécialiste de la Syrie. Cela expliquerait l’âpreté des affrontements. Les villes de Tafaf, de Yadudeh et de Mzeyrib refusent toujours de se rendre.
Depuis la signature, le 8 septembre, d’un accord gazier entre l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban, la province de Deraa a gagné en importance. Le gazoduc permettra d’acheminer du gaz égyptien vers le Liban en crise. «Il est donc obligatoire de sécuriser la zone», souligne Bassam Tahhan.

Les djihadistes s’opposent entre eux à Idlib

Mais l’objectif le plus ambitieux pour les troupes de Bachar el-Assad est Idlib. Et ce n’est pas une mince affaire pour le gouvernement syrien. Incendies criminels, attaques de transports de troupes, voitures piégées, enlèvements, prises d’otages… Le ministère russe de la Défense a annoncé que les organisations terroristes déployées dans la zone d'Idlib avaient mené vingt-neuf attaques en tout genre au cours des dernières vingt-quatre heures. Le centre de coordination russe de Hmeimim, la base aérienne à l’ouest de la Syrie, a rapporté le 12 septembre une multiplication des attentats djihadistes dans les villes d’Hama, d’Alep, de Lattaquié et d’Idlib.
Malgré l’accord de cessez-le-feu entre Ankara et Moscou en mars 2020, cette zone du nord-ouest syrien est encore disputée entre les forces armées de Bachar el-Assad et les organisations terroristes comme Hayat Tahrir al-Cham. Le gouvernement syrien entend reprendre chaque parcelle de terrain et sanctuariser les axes autoroutiers M4, reliant Lattaquié à Alep, et M5, connectant Damas à Alep. Des voies d’accès vitales pour son économie.
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Selon un rapport de l’ONU de juillet 2019, la région d’Idlib «compte désormais plus d’éléments terroristes que n’importe quelle autre région du Levant et d’Iraq». La voici décrite comme «le plus grand dépotoir de combattants terroristes étrangers au monde». Heureusement, notre interlocuteur juge qu’il ne s’agit plus qu’une question de temps avant que la ville ne soit reprise.
Même Ankara qui est présent dans la zone peinerait à la sécuriser. Le 11 septembre, deux soldats turcs ont en effet été tués dans une attaque revendiquée par un groupe terroriste sympathisant d’Abu Bakr al-Siddiq. Les différents groupes armés dans la zone, à savoir Hayat Tahrir al-Cham, Houras El-Din, les unités ouigours, etc., contrôlent chacun une partie du territoire. Une partition synonyme de luttes intestines entre djihadistes.

15.000 soldats turcs seraient en Syrie

«Parmi les terroristes présents dans la zone, il y a beaucoup de Turkmènes et des Maghrébins. Ils sont environ 20 à 30.000 djihadistes étrangers dans la province d’Idlib. C’est une bombe à retardement si le problème n’est pas traité», affirme le géopolitologue. La province est peuplée d’environ 4 millions d’habitants. Les deux tiers sont des réfugiés syriens.
«Le gros problème, c’est que la Turquie a mis la main sur cette zone et il y a une connivence entre les djihadistes et Ankara», s’insurge Bassam Tahhan. Pour tenter d’imposer son influence dans la zone et contrer toute velléité de reprise de la ville, la Turquie d’Erdogan y aurait envoyé plus de 15.000 soldats, à en croire The Brookings Institution.
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Eh oui, il y a des intérêts à défendre! «Erdogan veut garder Idlib comme monnaie d’échange dans la résolution du conflit syrien», estime Bassam Tahhan. En effet, en cas d’offensive, Idlib pourrait rapidement créer une nouvelle crise migratoire vers l’Europe.
Le Président turc profiterait de surcroît de la crise pour enrôler des Syriens. Recrutés à la frontière, ces mercenaires participeraient pour le compte d’Ankara à des actions dans le nord de la Syrie, en Libye ou même dans le Haut Karabagh, pour un salaire mensuel d’environ 2.000 dollars et l’obtention de la nationalité turque.
Mais l’influence turque est également économique. En juin 2020, les autorités du nord-ouest de la Syrie ont commencé à remplacer la livre syrienne, en chute libre, par la monnaie turque dans les transactions courantes afin de protéger la province d'Idlib de l'effondrement économique. «Il y a une réelle politique de “turquisation” dans la zone», prévient Bassam Tahhan.
«Une fois de plus, le destin de la Syrie est entre les mains des grandes puissances», conclut notre interlocuteur avec amertume.
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