La nouvelle s’est vite invitée dans la campagne électorale fédérale. Le 7 septembre dernier, la presse canadienne a appris que près de 5.000 livres avaient été brûlés, jetés ou pilonnés par un conseil scolaire de l’Ontario. Le motif de cet autodafé des temps modernes: les ouvrages contiendraient des stéréotypes et des représentations jugées racistes envers les Premières Nations.
À notre micro, Claude Simard fustige d’emblée «cette "cancel culture" qui tente d’effacer tout ce qui n’est pas conforme à sa vision du monde»:
«On pourrait parler d’une entreprise d’endoctrinement du monde scolaire axée sur l’inculcation d’une sorte de mythe antidiscriminatoire. L’autodafé ontarien est à l’évidence le résultat du wokisme qui se répand de plus en plus en Amérique du Nord. Ses promoteurs ont réussi à amener le monde de l’éducation à censurer les lectures des jeunes et à bannir tout livre qui semble s’écarter de la doctrine de la pureté sociale», tonne le professeur honoraire, auteur de nombreuses grammaires scolaires.
Parmi les livres retirés des bibliothèques figurent entre autres des albums des bandes dessinées Tintin, Astérix et Lucky Luke.
Une mise à l’index en réaction au scandale des pensionnats?
Les exemplaires du célèbre numéro Tintin en Amérique ont été retirés par le comité chargé de la révision des catalogues, un symbole qui fait particulièrement réagir. Des ouvrages savants rédigés par des auteurs renommés font également partie de la liste, de même que des romans et des encyclopédies.
La polémique survient alors que des recherches sont toujours en cours sur divers sites pour identifier les dépouilles d’enfants autochtones disparus à l’époque du système des pensionnats. Jusqu’à présent, quatre charniers contenant des corps d’élèves ont été mis à jour, plongeant chaque fois le pays dans un nouveau deuil. Ces découvertes mettent en lumière le rôle de l’État canadien et de l’Église catholique dans le «génocide culturel» des Amérindiens, selon les mots choisis par la Commission de vérité et réconciliation.
D’après les chiffres d’Ottawa, durant les XIXe et XXe siècles, 150.000 jeunes ont été placés dans ces établissements contre la volonté de leurs familles. Un certain nombre d’entre eux ont été victimes de mauvais traitements et d’abus sexuels. En réaction à ces découvertes, une dizaine d’églises avaient déjà été incendiées.
Claude Simard dit comprendre le traumatisme vécu par plusieurs membres des nations autochtones, mais il s’oppose catégoriquement aux méthodes employées par les acteurs du mouvement «décolonial». «Il n’y a rien de plus antipédagogique et de plus dévastateur que les index et les autodafés», réagit le professeur, pour qui cette entreprise va à l’encontre même de la mission éducatrice de l’école:
«Empêcher les jeunes de lire des livres de différentes époques et de divers horizons au nom d’une morale intransigeante conduit à leur imposer une pensée unique et à les habituer à se conformer servilement aux normes du groupe dominant. On ne peut former des citoyens libres qu’en amenant les jeunes à développer leur intelligence et leur jugement par la confrontation d’une pluralité de points de vue», poursuit l’ex-doyen de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval.
Le Conseil scolaire catholique Providence chapeaute trente écoles en Ontario (23 primaires et 7 secondaires), ces établissements accueillent en tout 10.000 élèves.
«La glorification des Premières Nations conduit à des dérives»
Se présentant comme une «gardienne du savoir autochtone», l’une des principales responsables du projet de retrait de livres, Suzy Kies, est coprésidente de la Commission autochtone du Parti libéral du Canada, formation dont le chef est le Premier ministre fédéral, Justin Trudeau. Le 8 septembre, le réseau Radio-Canada a révélé que Mme Kies ne pouvait être considérée comme une femme autochtone en vertu de divers critères officiels, ce qui ajoute à la polémique. Pour Claude Simard, cette imposture montre aussi le caractère idéologique du «vertuisme social actuel»:
«Le wokisme se mêle ici au courant décolonial qui entend lutter contre une décolonisation incomplète des peuples, notamment d’Amérique. Mais la glorification aveugle des Premières Nations conduit à des dérives comme celle de l’autodafé ontarien. Quand on entend l’instigatrice de cette purge littéraire, Suzy Kies, déclarer qu’un livre sur les autochtones doit être écrit ou du moins supervisé par un autochtone, on ne peut s’empêcher de voir un racisme inversé», analyse-t-il.
Questionné par les médias durant sa tournée électorale, Justin Trudeau a affirmé qu’il ne revenait pas à l’État central «de gérer des décisions des commissions scolaires». «Au niveau personnel, je ne suis jamais d’accord avec le fait de brûler des livres, mais il faut aussi se souvenir que ce n’est pas à moi, ce n’est pas aux non-autochtones de dire aux autochtones comment ils devraient se sentir ou comment ils devraient agir pour avancer la réconciliation», a déclaré le Premier ministre sortant.
Une attitude conciliante qui tranche avec le point de vue du Premier ministre québécois sur le sujet, François Legault:
«Pour moi, brûler des livres, c’est un acte atroce», a quant à lui opposé le chef d’État de centre.
Selon Claude Simard, aucun chef de parti fédéral ne s’est suffisamment montré ferme envers le conseil scolaire et le ministère de l’Éducation de l’Ontario, lequel l’a appuyé dans certaines démarches: «Par souci de bien-pensance, surtout en période électorale, aucun des chefs dans la course n’a vraiment eu en fait le courage de dénoncer le caractère totalitaire de l’autodafé ontarien et de proposer une analyse critique des dérives du milieu scolaire canadien», déplore l’ex-enseignant.
Dans l’embarras et sous la pression, le Conseil scolaire catholique Providence a annoncé le 8 septembre qu’il suspendait le retrait et la destruction de livres. La direction du conseil s’est également dite «troublée et inquiète» d’apprendre que Suzy Kies n’était pas amérindienne à part entière:
«Le Conseil scolaire catholique Providence croyait fermement les affirmations de Suzy Kies lorsqu’elle disait être autochtone de la Confédération des Wbanakis et du clan de la Tortue», a déclaré la porte-parole de l’organisation, Lyne Cossette.