«La formation de ce gouvernement est une provocation. Les talibans* testent la communauté internationale.»
Après la présentation du gouvernement de transition en Afghanistan, Kaneshka Sorkhabi, chercheur à l’Institut prospective et sécurité de l’Europe (IPSE) et spécialiste de la région, s’exprime sans détour. La communauté internationale a reçu une douche froide. Nombre d’acteurs attendaient que les nouveaux maîtres de Kaboul forment un gouvernement «inclusif», comme l’avait appelé de ses vœux Jean-Yves Le Drian… Patatras, les espérances occidentales se sont fracassées sur le mur du réel!
Des pedigrees éloquents
La vieille garde conservatrice du mouvement fondamentaliste est surreprésentée dans le gouvernement présenté ce 7 septembre. En est un exemple éloquent la nomination au poste de Premier ministre par intérim de Mohammad Hassan Akhund, ancien fidèle du mollah Omar (cofondateur du mouvement taliban*). La nomination d’un autre cofondateur du groupe, Abdul Ghani Baradar, au poste du premier vice-Premier ministre, est un autre symbole.
Parmi les autres nominations annoncées, celles du mollah Yaqoub, fils du mollah Omar, au poste de ministre de la Défense, et de Sirajuddin Haqqani, chef du réseau Haqqani, un groupe qualifié de terroriste par Washington, à l’Intérieur. Amir Khan Muttaqi, négociateur taliban à Doha, récupère le portefeuille des Affaires étrangères.
En outre, quatre membres de l’équipe gouvernementale sont d’anciens prisonniers de Guantanamo. Ils sont respectivement chef du service de renseignement, ministre des Frontières, ministre de la Défense ou encore ministre de l’Information et de la Culture. Un peu comme si le centre de détention américain faisait office de grande école pour former les élites afghanes. Une sorte d’équivalent de notre ENA!
En outre, quatre membres de l’équipe gouvernementale sont d’anciens prisonniers de Guantanamo. Ils sont respectivement chef du service de renseignement, ministre des Frontières, ministre de la Défense ou encore ministre de l’Information et de la Culture. Un peu comme si le centre de détention américain faisait office de grande école pour former les élites afghanes. Une sorte d’équivalent de notre ENA!
«Rien n’a bougé, les talibans* restent un groupe aussi dogmatique qu’avant. Contrairement à la communication qu’ils ont mise en place, et en l’absence de réactions et d’exigences des puissances internationales, ils ont privilégié le gouvernement qu’ils voulaient», constate Kaneshka Sorkhabi.
Le géopolitologue reproche aux puissances mais aussi aux institutions internationales d’avoir accordé le bénéfice du doute aux extrémistes afghans.
Absence de «légalité» et «légitimité constitutionnelle»
Selon le chercheur, les talibans* ont profité de la naïveté de la communauté internationale dans son ensemble:
«Certains ont pensé que la nécessité d’avoir un appareil d’État fonctionnel avec des services publics infléchirait peut-être leur position. En effet, ils ont besoin de toutes les forces vives du pays pour le gouverner. Mais ils n’ont fait montre d’aucune ouverture.»
La stratégie des talibans* est pourtant bien pensée. Ils se sont ménagé une marge de manœuvre en ne fournissant pas un gouvernement complet. Ainsi, en cas de courroux généralisé de la communauté internationale, ils resteront toujours capables de lui donner des gages. De plus, ils «font miroiter une position de rempart» face à Daech* dans le pays. C’est forcément un atout dans les négociations avec le reste du monde.
Toutefois, selon le chercheur, à défaut d’exigence extérieure, ils «n’infléchiront pas leur position»:
«En l’absence de pression sur la légalité et la légitimité constitutionnelle de ce nouveau gouvernement, les talibans* n’en ont fait qu’à leur tête.»
Le choix du groupe fondamentaliste est un pari hasardeux. En Afghanistan, tout est à construire. S’isoler de la communauté internationale desservirait in fine ceux dont le nom ce traduit «étudiants» de la religion.
En effet, l’État afghan est en lambeaux. Les services publics et bancaires sont réduits au minimum, voire inexistants. La crise économique s’aggrave dans un climat de méfiance généralisée. Après le changement de régime, la population s’est ruée sur les banques pour récupérer son argent.
Une sécheresse inédite menace de famine toute une partie du pays. De surcroît, entre 8 et 10 milliards de dollars appartenant à l’État afghan sont gelés par le Fonds monétaire international à la demande de Washington.
Parrain pakistanais
Le chercheur à l’IPSE rappelle toutefois que les talibans* ont des sources de revenus importantes:
«Ils avancent avec leurs autres structures de revenus.»
En l’occurrence, la taxation locale, le narcotrafic et des bailleurs de fonds privés du Golfe. En tout, les rentrées d’argent escomptées s’élèveraient à environ 1,5 milliard de dollars par an.
Cela ne suffira sans doute pas pour faire tourner un pays rayonnant. Mais ce sera bien assez pour s’accrocher au pouvoir. Surtout face aux autres forces politiques du pays, désunies, en capilotade.
Afin de s’assurer une certaine stabilité et une ouverture internationale, les talibans* pourraient aussi compter sur certains voisins. Notamment le Pakistan. D’après Kaneshka Sorkhabi, «le chef de l’ISI [renseignement pakistanais, ndlr] est venu à Kaboul pour mettre la pression sur les talibans pour former ce gouvernement». Soucieux de ne pas être pris en sandwich avec des États hostiles à l’est et à l’ouest, Islamabad est en effet un soutien de longue date des Pachtouns afghans. Ces derniers contribueraient à sa lutte contre l’Inde au Cashmere.
Les talibans* restent toutefois extrêmement isolés. Même au niveau régional, des pays comme la Russie et l’Iran, qui ont pourtant donné des signes avant-coureurs de neutralité, prônent eux aussi la nomination d’un gouvernement qui ne manquerait pas de diversité politique et ethnique.
Pour Kaneshka Sorkhabi, «certains acteurs, les États-Unis en premier lieu, ont joué avec le feu en donnant une légitimité aux talibans* afin de faciliter le départ américain de la région». Une attitude risquée qui risque d’être lourde de conséquences…
*Organisation terroriste interdite en Russie