«Une chose est sûre: la fin du terrorisme islamiste, ce n’est pas pour demain», prédit Alain Rodier au micro de Sputnik.
Il y a tout juste un an, plusieurs attentats meurtriers avaient ponctué le procès des attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo et hyper Casher). Le 25 septembre 2020, un Pakistanais de 25 ans blessait deux personnes au hachoir devant les anciens locaux de Charlie Hebdo; quelques jours plus tard, le 16 octobre, le professeur d’histoire Samuel Paty était sauvagement décapité par le tchétchène Anzorov. Pour Alain Rodier, directeur adjoint du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), la situation pourrait bien se reproduire, alors que le procès des attaques du 13 novembre débute ce mercredi 8 septembre.
«Globalement, l’état de la menace est toujours à peu près au même niveau. La menace endogène peut même augmenter en raison du battage médiatique fait autour des procès du 11 septembre aux États-Unis et du 13 novembre en France. Cela va forcément attirer l’attention d’un certain nombre d’individus radicalisés, bien décidés à venger leurs frères “maltraités”», juge le spécialiste du renseignement.
«Une attaque est possible, d’autant que le procès doit durer huit ou neuf mois. Or, depuis 2015, nous n’avons pas connu une période d’une telle durée sans que se produise au moins une attaque», complète dans le Huffington Post Marc Hecker, directeur de recherche à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
La victoire des talibans* «risque de galvaniser un certain nombre de djihadistes»
Plus inquiétant: la récente victoire des talibans* en Afghanistan pourrait renforcer la menace en France et en Europe. Pour Alain Rodier, ancien officier supérieur des services de renseignement, l’événement «risque de galvaniser un certain nombre de combattants et de djihadistes qui agissent à l’extérieur». «Al-Qaïda* et les talibans* sont occupés avec des problèmes intérieurs en Afghanistan et n’ont pas intérêt à déclencher des opérations en Occident dans les mois à venir», nuance toutefois le chercheur.
Dans un courrier transmis ce 7 septembre aux préfets, Gérald Darmanin en appelle à la «vigilance dans le cadre de l’ouverture du procès des attentats» tant vis-à-vis de la «menace endogène qu’exogène». «La menace terroriste est très forte», prévient le ministre de l’Intérieur.
© AFP 2024 LUDOVIC MARIN
Mais le concurrent direct d’Al-Qaïda*, Daech*, pourrait de son côté «se rappeler au bon souvenir de tout le monde en déclenchant des opérations spectaculaires». L’attentat de l’aéroport de Kaboul, revendiqué le 26 août dernier par l’État islamique au Khorassan* (El-K), a d’ailleurs rappelé la force de frappe de l’organisation terroriste.
Pour autant, le scénario de 2015 a peu de chances de se répéter, estime Alain Rodier. L’afflux probable de réfugiés en provenance d’Afghanistan, parmi lesquels pourraient potentiellement se glisser des djihadistes, «ne sera en rien comparable avec la vague migratoire en provenance de Syrie», veut croire notre interlocuteur. «L’accès à l’Europe n’est pas le même. Le nombre de réfugiés qui arrive sera bien modeste qu’en 2015, ce ne sera pas une déferlante. Chaque individu peut être contrôlé plus finement. Même si bien sûr, certains peuvent passer entre les mailles du filet», précise l’auteur de L’Islam radical en France (Éd. Histoire et Collections).
«Le problème, ce n’est pas le recueil de l’info, c’est l’analyse de l’info»
Sur le plan intérieur, la France semble en tout cas mieux armée juridiquement qu’au moment de la vague d’attentats de 2015. Une grande partie des dispositions de l’état d’urgence sécuritaire, promulgué pour la première fois le 14 novembre 2015, a été pérennisée dans le droit français. Contraintes judiciaires et administratives imposées aux terroristes une fois leur peine purgée, visites domiciliaires, assignations à résidence et surveillance algorithmique de la population sont ainsi au programme de la loi antiterroriste promulguée le 30 juillet dernier.
«On est évidemment mieux outillés qu’en 2015. Les services de sécurité ont été renforcés, même si aucune défense n’est hermétique à 100%. Le risque zéro n’existe pas», tempère Alain Rodier.
Si la France semble désormais miser en grande partie sur la surveillance numérique grâce à la technique algorithmique (les services de renseignement ont désormais la possibilité d’analyser massivement l’adresse URL des sites Internet consultés par les Français), le directeur adjoint du CF2R estime que les moyens techniques à eux seuls ne suffisent pas à parer au risque terroriste. «Le grand problème, ce n’est pas le recueil de l’information, c’est celui de la gestion et de l’analyse de la masse d’information pour en tirer les bonnes conclusions», explique ainsi l’ancien officier des renseignements.
«Nous sommes moins une "cible molle" qu’il y a cinq ou six ans»
Or, face à ce que le spécialiste de l’islam Gilles Kepel qualifier désormais de «djihadisme d’atmosphère», par définition imprévisible et indétectable, les moyens mis à la disposition des services de renseignement semblent bien maigres. «Si un individu décide de passer à l’acte du jour au lendemain, c’est impossible de le détecter à l’avance», rappelle ainsi le directeur adjoint du CF2R.
Et la France, régulièrement visée et décrite comme l’ennemi à abattre par les prêcheurs islamistes, pourrait bien essuyer de nouvelles attaques dans les mois et années à venir. Le Sahel est particulièrement scruté par les services de renseignement. Il y a «des appels réguliers de AQMI* (Al-Qaïda au Maghreb islamique) ou du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans)» contre la France, indique ainsi Marc Hecker au Dauphiné Libéré.
«La France figure en bonne place, mais ce n’est pas le seul pays touché par le terrorisme islamiste. La France s’est tout de même endurcie: nous sommes moins une “cible molle” qu’il y a cinq ou six ans», tranche Alain Rodier.
*Organisations terroristes interdites en Russie