Dimanche 5 septembre, le Président de la Guinée-Conakry Alpha Condé est victime d’un coup d’État mené par le Groupement des forces spéciales (GFS), dirigé par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, ancien légionnaire de l’armée française, qui a pour mission officielle la lutte antiterroriste. Originaire de la région de Kankan, dans le nord-est du pays, le lieutenant-colonel Doumbouya est Malinké, une ethnie présente en Afrique de l’Ouest principalement en Guinée, au Mali, au Sénégal, en Gambie, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso.
Lors d’une allocution télévisée, le haut gradé a annoncé l’arrestation du chef de l’État, la dissolution des institutions et la suspension de la Constitution. Il a également fait part de la fermeture des frontières, la création d’un Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) et la rédaction d’une nouvelle Constitution.
Ce coup de force a été condamné par la communauté internationale, dont la France, les États-Unis, la Russie, la Chine, la Turquie, l’Onu, l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui ont appelé à la libération du Président Condé.
Quelles sont les causes endogènes et exogènes ayant mené à ce coup d’État? Quelles conséquences attendre sur les relations régionales et internationales du pays? Les projets de développement structurants, notamment dans les secteurs minier et ferroviaire, seront-ils les premières victimes de ce coup de force?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité Alseny Thiam, chercheur guinéen associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). Pour lui, «en ce moment, il est très difficile de se prononcer sur ce qui vient de se passer en Guinée-Conakry et ses possibles répercussions nationales, régionales et internationales. Cependant, il est possible d’avancer certains faits et données qui peuvent être utilisés comme une grille de lecture, concernant les causes de ce coup de force et ses probables conséquences à tous les niveaux».
«Une résurgence de coups d’État en Afrique»
«Il faut bien voir qu’avant le coup d’État contre le Président Alpha Condé il y a eu d’autres opérations de prise de pouvoir par les militaires dans au moins trois autres pays africains», rappelle M.Thiam, précisant qu’«il y a eu le renversement du Président Omar el-Bechir, en avril 2019, au Soudan. La prise de pouvoir par les militaires au Tchad, suite au décès en avril 2021 de feu Idriss Déby Itno et enfin le coup d’État au Mali, conduit, pour la deuxième fois en l’espace d’une année, par le colonel Assimi Goïta contre le chef de l’État Ibrahim Boubacar Keïta en mai 2021».
Et d’ajouter qu’«outre les déclarations de condamnation habituelles, la communauté internationale n’a pas réussi à y changer quoi que ce soit dans les situations internes de ces trois pays. Bien au contraire, l’étau commence à se desserrer autour des juntes militaires qui les dirigent».
Ainsi, «le lieutenant-colonel Doumbouya s’est vu rappeler de sa retraite et confié la constitution du GFS par le Président Condé, un officier de l’École de guerre de Paris avec au moins 15 années d’expérience dans différents terrains d’opérations: Afghanistan, Côte d’Ivoire, Djibouti et République centrafricaine. Il a également été formé à la garde rapprochée au Royaume-Uni, Israël, Chypre et Guinée», informe-t-il. Depuis un certain temps, selon l’interlocuteur de Sputnik, ce haut gradé «était soupçonné par l’entourage du Président d’avoir des ambitions politiques, ce qui aurait peut-être donné envie au chef de l’État de l’écarter, ce que le militaire n’aurait probablement pas apprécié sur fond de crise politique aiguë dans le pays».
Quid des enjeux économiques et géostratégiques?
Dans un entretien accordé le 30 mars 2021 au magazine français Jeune Afrique, Alpha Condé s’est exprimé sur les relations étroites que son pays entretient avec la Chine, la Russie et la Turquie. En effet, en réponse à une question du journaliste qui lui demandait s’il n’avait pas l’impression que Paris lui reprochait ses relations avec ces trois pays, le chef de l’État a répondu que lorsque la Guinée était devenue indépendante en 1958, ce sont les Soviétiques, les Chinois et les militants panafricanistes de l’époque qui sont venus à son secours, alors que les Français l’avaient abandonnée.
«J’ai certes de très bons rapports avec Xi Jinping, avec Recep Tayyip Erdogan, que je considère comme un frère, et avec Vladimir Poutine. Mais ce qui compte pour moi, c’est de coopérer avec toutes les bonnes volontés dans l’intérêt de la Guinée», a déclaré le chef de l’État guinéen, soulignant que des entreprises américaines, chinoises, allemandes, russes, émiraties, indiennes et canadiennes travaillaient normalement dans le secteur minier en Guinée.
À ce titre, Alseny Thiam explique que «depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir en novembre 2010, les relations sino-guinéennes ont connu un développement fulgurant, aidé par la conjonction du projet chinois de nouvelle route de la soie et la recherche d’investissements étrangers structurants par la Guinée. Dans ce sens, les gisements importants de bauxite (près de deux tiers des réserves mondiales) et de fer (2,4 milliards de tonnes de minerai titré à 65%, soit la plus importante réserve mondiale) du pays intéressent au plus haut niveau les entreprises chinoises. En effet, la Chine, qui importe les deux tiers de ses besoins d’Australie, a décidé d’investir massivement dans l’exploitation de ce gisement qui se trouve à Simandou, dans l’est du pays. Pour se faire, il est nécessaire de désenclaver le site par la construction d’une voie ferrée de 650 kilomètres, afin de le relier à un port en eau profonde à Matakong, dans le golfe de Guinée. Ce projet va coûter la bagatelle de neuf milliards de dollars».
En conclusion
Enfin, l’interlocuteur de Sputnik souligne qu’«une déstabilisation de la Guinée-Conakry aura certainement de bien fâcheuses conséquences sur la majorité des projets de développement lancés par le Président Condé avec tous les partenaires étrangers ayant choisi réellement d’investir dans le pays, notamment les Chinois avec le projet de la route de la soie et tous les corridors envisagés et dont la Guinée est intégrée. En effet, la situation au Mali complique davantage la construction des routes des destinées à connecter la côte méditerranéenne en Afrique du Nord au golfe de Guinée en passant par le territoire malien».
«Il est évident qu’il y a des enjeux géopolitiques et géostratégiques importants», conclut-il, soulignant que «tout dépendra de la suite qui sera donnée à toutes ces relations par le nouveau pouvoir militaire de transition en Guinée. L’avenir nous le dira!».