Dimanche 5 septembre, il n’a fallu que quelques heures à un groupe de soldats des forces spéciales pour mettre un terme au pouvoir du Président guinée Alpha Condé. En fin de matinée, le chef de l’État de la République de Guinée était présenté au monde entouré des putschistes, affalé sur un fauteuil, en tenue débraillée. Image incroyable de la subite déchéance de l’homme fort du pays.
De caporal à colonel…
Ce groupe de soldats d’élite est commandé par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, un militaire au parcours atypique. Après avoir quitté son pays, il s’est enrôlé dans les rangs de la Légion étrangère. C’est dans ce corps de l’armée française que le caporal-chef Doumbouya a pu acquérir l’essentiel de ses connaissances en matière de combat. De retour en Guinée, il est projeté officier dans l’armée régulière de son pays d’origine. Une ascension fulgurante qu’il doit au Président de la République de Guinée. En plus de lui avoir accordé la possibilité de suivre une série de formations spécialisées en Israël, en France et au Sénégal, Alpha Condé le charge de commander le Groupement des forces spéciales (GPS), l’unité d’élite qui s’est finalement retournée contre lui.
Ce coup d’État reste entouré de zones d’ombres. D’abord sur le plan opérationnel: «il est étonnant que les Israéliens qui accompagnent les forces spéciales guinéennes n'aient rien vu venir», a déclaré à Sputnik Leslie Varenne, directrice de l’Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques (IVERIS). Elle explique à Sputnik qu’en imposant un troisième mandat pour se maintenir au pouvoir, Alpha Condé ne pouvait échapper à un renversement par la force.
«Contre vents et marées, Alpha Condé s’est présenté à l’élection d’octobre 2020 pour un troisième mandat anticonstitutionnel, ce qui a entraîné des crises préélectorale et postélectorale. Il y avait un réel mécontentement au sein de la population et dans les rangs de l’armée. Récemment, pour calmer la rue guinéenne, il a décidé de subventionner le prix de la bonbonne de gaz butane. Trop peu, trop tard? Il est clair qu’Alpha Condé s’est entêté et n’aurait pas dû se présenter. Il a organisé lui-même son illégitimité et pour rester au pouvoir, il a beaucoup réprimé, avant et après l’élection», précise-t-elle.
Réactions à géométrie variable
Ce coup d’État arrive, donc, «dans le sillage d’un coup d’État anticonstitutionnel». Leslie Varenne met en avant le rôle des institutions internationales continentales et régionales qui, en jouant «sur le deux poids deux mesures ont, elles aussi, organisé leur impuissance et ne peuvent plus rien empêcher».
«En réponse à une prise de pouvoir par la force, il ne peut y avoir qu’une prise de pouvoir par la force. Cela emmène tous les aventuriers au pouvoir. On ne sait pas du tout ce que vont faire les putschistes. Un coup d’État c’est l’expectative absolue, il faut rester très prudent, les sauveurs peuvent devenir à leur tour des bourreaux», note la directrice de l’IVERIS.
Leslie Varenne indique qu’il est important de prendre en compte certains aspects liés à la politique de la France en Afrique de l’Ouest. Principale ancienne puissance coloniale dans cette région du continent, elle continue à avoir son mot à dire en matière de gouvernance. Mais pour Paris, Alpha Condé était peut-être devenu encombrant. Leslie Varenne rappelle que l’élection en Guinée a été la première d’une série de scrutins problématiques en Afrique de l’Ouest. «Cependant, la France n’a rien dit sur le passage en force d’Alpha Condé pour ne pas gêner [le Président ivoirien, ndlr] Alassane Ouattara qui agissait de la même manière».
Dans les deux cas, des révisions de la Constitution avaient donné lieu à des interprétations permettant de remettre le compteur du nombre de mandats présidentiels à zéro.
«Une fois élu, le Président ivoirien a eu droit à une très belle lettre de félicitations de la part du Président Macron, contrairement à Alpha Condé qui a eu juste droit au minimum. La France qui n’a rien dit sur les répressions en Côte d’Ivoire a brandi des menaces contre Conakry. Les relations avec Paris étaient tendues», rappelle Leslie Varenne.
Il y a enfin un aspect géostratégique en Guinée qui, de l’avis de Leslie Varenne, «est le plus intéressant et important» à prendre en compte. Les ressources naturelles phénoménales de ce pays sont au centre d’une lutte d’intérêts qui oppose des puissances mondiales.
«Il est clair que la guerre États-Unis/Chine a des ramifications sur le continent africain et on pourrait en donner de multiples exemples. En Guinée, il y a eu une véritable guerre d’intérêts autour de l’attribution du méga gisement de fer de Simandou, un des plus importants du monde. Alpha Condé l'a attribué à un consortium sino-singapourien en 2019. L’investissement représente tout de même la modique somme de 14 milliards de dollars, par ailleurs, la Chine est le premier bailleur de fonds de la Guinée», souligne-t-elle.
Pour Leslie Varenne, il faudra attendre encore quelque temps pour connaître les véritables objectifs du groupe de militaires commandés par le colonel Mamady Doumbouya et de ses éventuels commanditaires. «Les putschistes ont-ils agi seuls pour les intérêts supérieurs de la Guinée ou ont-ils été téléguidés par des acteurs extérieurs? En tout état de cause, il sera intéressant de suivre l’évolution de la situation à court terme, mais aussi à moyen terme au cas où les contrats miniers seraient revisités».