Congrès mondial de la nature: les discours de Macron «à la limite de la schizophrénie»?

Pour éviter une sixième extinction de masse des animaux, Emmanuel Macron a avancé de nombreuses propositions lors de l’inauguration du Congrès mondiale de la nature. Des déclarations d’intention qui n’ont pas convaincu le député LFI Loïc Prud’homme. Il pointe les contradictions entre la politique et les discours électoralistes du chef de l’État.
Sputnik
«L’urgence est là». Emmanuel Macron s’est voulu lucide quant à la situation de la planète, lors de la cérémonie d’ouverture du Congrès mondial de la nature. Selon les experts de l’Onu en effet, la nature «décline plus vite que jamais dans l'histoire humaine», écrivaient-ils dès 2019. Ce sont près d’un million d’espèces animales et végétales qui seraient menacées de disparition. Or, l’effondrement de cette biodiversité pourrait avoir de graves conséquences sur les êtres humains, notamment avec la multiplication des zoonoses, ces maladies infectieuses pouvant passer de l’animal à l’homme. Un fléau qui serait en partie lié «aux perturbations de l’environnement, associées à l’impact croissant des activités humaines sur les milieux», explique la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.
Il est donc nécessaire «de faire comprendre à tous que la bataille pour le climat et contre le dérèglement climatique est jumelle de la bataille pour préserver et restaurer la biodiversité. Et que l’une et l’autre se nourrissent», a lancé Emmanuel Macron durant son discours inaugural du 3 septembre.

Sixième extinction de masse des animaux

Une sortie volontariste de la part de celui qui a reçu en 2018 le titre de Champion de la planète mais qui n’a pas vraiment convaincu. «Mais est-ce que quelqu’un croit encore les déclarations d’Emmanuel Macron sur l’environnement et l’écologie?», tacle d’emblée Loïc Prud’homme, député LFI et membre de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire.
«C’est une fois de plus une déclaration qui est vide de sens et vide de faits. Quand on regarde un petit peu dans le rétroviseur, toutes les instances, même celles qu’Emmanuel Macron a mises en place comme le Haut Conseil pour le climat, jugent sa politique bien faiblarde, pour ne pas dire absente», fustige l’élu.
En témoigne notamment l’avis rendu en décembre 2020 par le Haut Conseil pour le climat (HCC) qui a estimé que 70% des mesures du plan de relance du gouvernement ne vont pas dans le sens de la lutte contre le réchauffement climatique. Or, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) indiquait, cité par le média Reporterre, qu’en 2020, la part du budget de l’État dédié à la biodiversité ne représentait que 0,14%.
Pour tenter de joindre la parole aux actes, le Président de la République a pris l’engagement de placer en protection forte 5% des eaux françaises en Méditerranée d’ici 2027. Il a également promis une «initiative forte» pour sortir des pesticides au niveau européen. En outre, Emmanuel Macron a réaffirmé que la France resterait opposée à l’accord UE-Mercosur «tel qu'il est négocié aujourd'hui».

Des discours pour plaire à ses électeurs

En outre, il a déclaré que la France convoquerait un «One Ocean summit» fin 2021 ou début 2022, afin d’étudier les façons de mieux préserver les mers et océans de la planète. Une annonce d’ailleurs faite peu avant le lancement du Congrès mondial de la nature, organisé par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et qui réunira jusqu’au 11 septembre des agences gouvernementales, des ONG, des scientifiques et représentants des peuples autochtones.
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Néanmoins, Loïc Prud’homme souligne les contradictions entre la politique d’Emmanuel Macron et ses déclarations. «C’est à la limite de la schizophrénie, il y a un discours pour plaire à ses électeurs et les actes pour ceux qui le soutiennent», avance le député.
La protection de la nature et sa restauration ne bénéficieront quant à elle que de 0,25% du plan de relance. Un pourcentage jugé «insuffisant» par Nicolas Hulot, ex-ministre de l’Environnement.
​«Je vais lui envoyer tous les détails et demander à Barbara Pompili [ministre de la Transition écologique, ndlr] de lui donner, parce que c’est beaucoup plus. Tout le plan de mécanisation agricole, c’est pour la biodiversité», a rétorqué le chef de l’État.

«Ni la présidence Macron, ni les précédentes n’ont été à la hauteur»

Au-delà de ces comptes d’apothicaire, le député de la France insoumise pointe la loi du 7 décembre 2020 d'Accélération et de simplification de l'action publique (dite «loi Asap»). Un texte qui selon lui est «la porte ouverte à toutes les dérives», avec des «dérogations préfectorales sur les projets industriels, ou encore avec des procédures environnementales qui ont été réduites». Par ailleurs, sur la question de l’agriculture et des pesticides, les néonicotinoïdes ont été réintroduits par dérogation en France, alors même que «75% en Europe de la biomasse des insectes a disparu, les pollinisateurs sont en danger comme jamais», regrette le parlementaire.
«Tout ça n’a aucune cohérence, en tout cas ne démontre aucune volonté de mettre au centre des discussions de ce gouvernement, et du Président en particulier, l’environnement, la défense de la nature et de notre santé», déplore Loïc Prud’homme.
Si le constat est sévère, Muriel Arnal, présidente de l’association One Voice tient à le nuancer: «Ni la présidence d’Emmanuel Macron, ni les précédentes n’ont été à la hauteur». «À chaque fois qu’il y a un progrès, c’est parce que les associations sont allées en justice, sont intervenues, ou parce que l’Europe met la pression et cela est un vrai souci», assure la militante.
«On attend en permanence le gouvernement qui fera enfin la différence et fera basculer les choses. Cependant, le mandat d’Emmanuel Macron n’est pas terminé, il est encore temps pour lui de prendre des actes forts car il y a une attente sociétale extrêmement forte aujourd’hui. Quand le Conseil d’État a interdit certaines méthodes de chasses traditionnelles, les gens applaudissent», note Muriel Arnal.
Reste que la France n’est pas le pays qui a le plus grand impact sur la planète, ce Congrès mondial de la nature pourrait-il faire avancer les choses? Rien n’est moins sûr, à en croire nos deux intervenants. «Est-ce que ces grands raouts permettent aux décideurs de s’apercevoir que le 3 septembre 2021, la biodiversité est en danger alors que les rapports s’accumulent? Le Giec en est à son sixième rapport», ironise Loïc Prud’homme.
«À ce stade, il faut des actes, des actions fortes et on connaît les solutions. Il va y avoir un moment où la situation sera trop grave pour faire des réunions. Et je crois que ce moment n’est pas loin d’arriver», prévient Muriel Arnal.
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