Casques bleus ou réfugiés afghans: le Rwanda sur tous les fronts

Deux semaines après la prise de Kaboul par les talibans*, le Rwanda s’est dit prêt à accueillir des étudiants afghans fuyant leur pays. Derrière cette bienveillance affichée par Kigali se déploie pourtant une stratégie diplomatico-communicationnelle qui ne dit pas son nom. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste des Grands Lacs.
Sputnik
Alors que l’évacuation des ressortissants étrangers et de leurs collaborateurs afghans avait retenu l’attention du monde entier, le Rwanda défrayait la chronique à sa manière en acceptant d’accueillir des élèves afghans désirant quitter leur pays. Ce qui en fait le deuxième pays africain à accueillir des réfugiés afghans après l'Ouganda, qui en a déjà accueilli plus d’une cinquantaine.
La nouvelle avait été annoncée par un tweet de Shabana Basij-Rasikh, présidente et cofondatrice de l’Afghanistan Leadership School (SOLA), indiquant que le seul internat pour filles d’Afghanistan déplaçait l’ensemble de ses 250 élèves, professeurs, employés et membres de leur famille vers la nation d’Afrique de l'Est pour poursuivre leur éducation pendant les prochains mois. Bien que la date d'arrivée des élèves réfugiés n'ait pas été divulguée, Mme Basij-Rasikh a assuré que toutes les personnes évacuées étaient déjà en route pour le Rwanda après avoir transité par le Qatar.
Le ministère rwandais de l'Éducation retweete, ce 24 août, en s'en félicitant l'annonce de Shabana Basij-Rasikh.
Du côté rwandais, on s’est déclaré enthousiaste d’accueillir la communauté SOLA au pays des mille collines. Derrière cet enthousiasme clairement affiché, Kigali déploie toute une stratégie diplomatico-communicationnelle qui ne dit pas son nom.

Offensives tous azimuts

Il faut dire que ce n’est pas la première fois que le Rwanda se propose d’accueillir des réfugiés venant d’horizons lointains sur son territoire. En 2018, il s’était déjà proposé d’accueillir des centaines de réfugiés coincés en Libye. À l’époque, en raison de la détérioration de la situation sécuritaire dans et autour de la capitale libyenne, Tripoli, l’Union africaine (UA), le Rwanda et le HCR avaient signé un protocole d'accord pour mettre en place un mécanisme de transit d’urgence (MTE) pour évacuer les réfugiés et les demandeurs d'asile hors de Libye. Cela faisait suite à l'offre faite par le Président Paul Kagame, en novembre 2017, et à la décision de l'UA, de l'Union européenne (UE) et des Nations unies de mettre en place une équipe spéciale conjointe pour sauver et protéger la vie des réfugiés et des migrants le long des routes migratoires et, en particulier, à l'intérieur de la Libye.
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Depuis, le Rwanda a reçu plusieurs centaines de réfugiés et demandeurs d'asile évacués de Libye, au moment même où ses troupes intervenaient en Centrafrique pour épauler le gouvernement dudit pays confronté à plusieurs groupes armés qui font régner la loi de la terreur. Toujours dans le même pays, Kigali a déployé des Casques bleus dans le cadre de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA). D’autres Casques bleus rwandais sont déployés sur d’autres théâtres d’opérations, ce qui fait aujourd’hui du Rwanda l’un des pourvoyeurs les plus importants de Casques bleus en Afrique. On retrouve également les Forces rwandaises de défense (FRD) au Mozambique, où elles croisent le fer avec les groupes djihadistes qui font régner la loi du chaos dans la région septentrionale de Cabo Delgado. C’est dire que le pays des mille collines est sur tous les fronts.

Savoir profiter des occasions

Pour le régime de Kigali, toutes les occasions qui se présentent, que ce soit sur le plan humanitaire, diplomatique ou sécuritaire, sont des opportunités à saisir. Cela permet de rehausser l’image de Paul Kagame sur une scène africaine où il jouit d’une grande popularité en tant que leader panafricain. Cela permet également de rehausser l’image du «petit Rwanda» sur cette même scène africaine où la plupart des gouvernements sont connus pour être des spectateurs et non des acteurs lors d’événements majeurs, et sur la scène internationale, c’est la preuve que le «petit» pays des mille collines peut peser sur l’échiquier mondial avec les petits moyens qui sont les siens.
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Il faut dire que la gestion de l’image a toujours constitué une préoccupation majeure pour Paul Kagame. À la différence de la plupart de ses pairs africains, il a compris très tôt le poids de la communication et son impact sur les opinions publiques. De son sanctuaire ougandais jusqu’à sa conquête du pouvoir en juillet 1994, il s’est employé, à travers un redoutable dispositif communicationnel, à véhiculer une image positive de lui-même et de son mouvement politico-militaire. Si le Rwanda, en dépit de sa situation sociopolitique et économique problématique, arrive à briller sur la scène africaine et internationale, c’est parce que ses dirigeants ont compris la nécessité de savoir se vendre à l’étranger en sachant saisir les opportunités qui s’offrent à leur pays.

Business as usual

Pour autant, la stratégie de communication n’exclut pas les opportunités d’affaires. Si le Rwanda accepte de recevoir des réfugiés venus de Libye et d’Afghanistan, s’il décide de déployer ses hommes hors de ses frontières et dans les missions de maintien de la paix, c’est aussi et surtout parce que cela lui est clairement profitable, surtout pour l’élite au pouvoir à Kigali.
En effet, le transfert et l’installation des réfugiés provenant de Libye ne se sont pas faits sans contrepartie, on s’en doute bien. En échange de l’espace qu’il a offert au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui, lui, s’occupe de ces personnes, le Rwanda a reçu des millions de dollars de l’Union européenne. Il en est de même pour les réfugiés afghans, mais aussi pour le déploiement des Casques bleus qui est devenu, pour un certain nombre de pays en développement, une source non négligeable d’entrée d’argent: les Nations unies versant des millions de dollars de compensations aux pays contributeurs de Casques bleus. En 2014, la plupart des pays contributeurs avaient fait pression pour que l’Onu réévalue la somme allouée pour chaque Casque bleu aux pays participants à des opérations de maintien de la paix. C’est dire...
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Mais c’est surtout à travers la coopération militaire que le Rwanda entend développer des partenariats économiques avec certains de ses alliés. En déployant, par exemple, près de 700 Casques bleus en Centrafrique, tout en renforçant sa coopération avec Bangui dans le domaine sécuritaire, Kigali sait qu’il pourra s’attendre à des débouchés dans d’autres secteurs, notamment dans le domaine économique. La Centrafrique a des soucis dans plusieurs secteurs et elle est riche en ressources naturelles, et au Rwanda, on le sait.
Depuis décembre 2020, plusieurs hommes d’affaires rwandais se sont succédé à Bangui, et pour la première fois dans l’histoire des relations entre les deux pays, la compagnie aérienne nationale RwandAir dessert la Centrafrique à hauteur de deux jours par semaine.
Au Mozambique, le succès remporté par le contingent rwandais, un mois après son arrivée, pourrait ouvrir de nouvelles opportunités au Rwanda dans le pays. La ville de Cabo Delgado où sont déployées les FRD est connue pour abriter un immense gisement gazier qui aiguise les appétits des grandes multinationales occidentales. Total y est d’ailleurs déployée, mais la multinationale a dû suspendre ses activités à cause des assauts répétés des groupes extrémistes. Avec la présence de l’armée rwandaise, les activités du groupe français devraient reprendre, et avec elles, des opportunités d’affaires pour les Rwandais.
Dans un contexte régional particulièrement problématique, Kigali étant en froid avec la plupart de ses voisins des Grands Lacs, l’activisme militaire et diplomatique du Rwanda pourrait ouvrir de nouvelles opportunités dans des horizons lointains à ce petit pays d’Afrique de l’Est qui ne cesse de nourrir de grandes ambitions.
*Organisation terroriste interdite en Russie
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