Auxiliaires afghans abandonnés par la France: «peu médiatisée», la traque dans Kaboul «est réelle»

Le gouvernement s’est félicité de sa mission d’évacuation des auxiliaires afghans ayant aidé la France durant ses années d’engagement en Afghanistan. Pourtant, nombre d’entre eux, accompagnés de leurs familles, sont restés sur place et font désormais face à un effroyable danger. L’un d’eux a accepté de témoigner au micro de Sputnik.
Sputnik
«Nous vous le devons. Bienvenue», affirmait le 18 août Emmanuel Macron à l’occasion de l’arrivée d’un avion rempli d’auxiliaires afghans ayant aidé l’effort de guerre français en Afghanistan. Ces mots solennels du Président de la République doivent désormais sonner bien creux aux oreilles de ces Afghans qui ont aidé la France durant son engagement, mais qui n’ont pas eu la chance d’être évacués d’Afghanistan.
«Ma famille et moi avons inévitablement quitté Kaboul, remplis de désespoir», confie à Sputnik Ahmad*, un Afghan ayant travaillé près d’une vingtaine d’années pour la France en Afghanistan, comme chauffeur et interprète, pour les troupes et les entreprises françaises.
Fatigué et dépité, ce père de famille a préféré quitter la capitale afghane à l’annonce de la fin de la mission d’évacuation française pour tenter de mettre les siens en sécurité. Et ce, après avoir vécu des semaines particulièrement traumatisantes.
«Quand les talibans** sont arrivés à Kaboul, nous restions cachés toute la journée, sauf pour aller à l’aéroport et tenter de se faire évacuer. Nous changions de logement régulièrement, c’était trop dangereux de rester trop longtemps au même endroit», raconte-t-il dans un français marqué par un fort accent afghan.
Pour lui, pas de doute, si les talibans** le trouvent, il mourra. Une certitude née des nombreuses missions qu’il a remplies pour l’armée, mais aussi diverses organisations françaises.

Menacés de mort par les talibans, «nous restions cachés»

De 1992 à 2002, cet Afghan a travaillé pour Médecins sans frontières comme chauffeur. Il a par la suite fourni une assistance à la mission de combat de l’armée française à travers son entreprise de logistique, avant de travailler pour Thales à partir de 2007. Malgré ces nombreux services rendus à la France, ses incessantes relances au Centre de crise et de soutien, l’organisme du ministère des Affaires étrangères présent sur place, sont restées lettre morte.
«Pourquoi le gouvernement français a pris position contre nous? Pourquoi n’y a-t-il aucun esprit de coopération?», interroge Ahmad se sentant trahi.
Désormais, il est parti se réfugier dans un village de campagne, le temps de trouver un moyen d’assurer la sécurité de sa famille. 
«Les talibans** restent des talibans**», résumait à Sputnik un ex-agent des renseignements français en poste en Afghanistan, avant de souligner que «la traque dans Kaboul est réelle, même si elle n’est pas ou peu médiatisée.»
Récemment, l’un de ses anciens collaborateurs restés en Afghanistan, patron «d’une boîte de sécurité afghane», a «échappé de justesse» à la vendetta talibane. Dans l’après-midi du 23 août, «quinze talibans** sont venus pour l’arrêter.»
Sur le coup, «il a eu de la chance, car il a eu le temps de sortir par la porte de derrière et se réfugier dans un autre quartier.»
«Et des rapports comme ça, j’en ai tous les jours», poursuit l’ancien de la DGSE.
La France a mis fin à ses évacuations d’Afghanistan
Selon un collectif d’une trentaine d’avocats français, près de 170 afghans ont été abandonnés par Paris. Officiellement, ils sont appelés les PCRL, «personnels civils de recrutement local.» D’après le ministère de la Défense, 1.067 Afghans ont été embauchés alors que l’armée française était déployée dans le pays, entre 2001 et fin 2014. Les autorités françaises assurent que 800 personnes au total, dont les familles de ces anciens collaborateurs afghans, ont été accueillies en France depuis 2014.
Toutefois, ces chiffres semblent sous-estimés, car ne tenant pas compte de nombreuses collaborations qu’ont pu avoir des auxiliaires afghans avec Paris. Ainsi en est-il des Afghans ayant par exemple assisté l’armée française sans que des contrats soient signés. D’autres, comme Ahmad, ont travaillé pour des entreprises françaises ayant contribué à l’effort de guerre français.
À ces oubliés, l’avocate Magali Guadalupe Miranda a conseillé la fuite, dans ce qu’elle appelle «le mail de la honte.»

170 Afghans abandonnés par Paris, un chiffre sous-évalué

Une Europe sans stratégie voit grossir la vague migratoire afghane

«J’ai dû leur faire ce courriel pour leur expliquer que la France les avait abandonnés et qu’ils n’avaient aujourd’hui plus qu’une seule solution pour espérer encore rejoindre Paris: fuir pour aller demander l’asile à l’ambassade de France d’Islamabad, au Pakistan, ou à celle de Téhéran, en Iran. J’ai donc conseillé indirectement à ces hommes et leurs familles de faire appel à des réseaux de passeurs pour sauver leurs vies», explique-t-elle à Middle East Eye.

Pour eux, qui ne peuvent cohabiter avec les talibans, il ne reste que peu de solutions: tenter de se fondre discrètement dans le décor, prendre le chemin de l’exil. Ou les armes.
* Le prénom a été changé pour des raisons de sécurité
** Organisation terroriste interdite en Russie
Discuter