«Mes proches qui sont restés là-bas attendent l’argent que je leur envoie. J’ai peur de rentrer car les talibans* vont me tuer.»
«Derrière la caméra, les talibans* commettent des atrocités. Ils tuent des gens», rétorque-t-il.
Même son de cloche chez son compatriote Habib. Il a laissé sa femme et ses deux enfants derrière lui en Afghanistan. Lui aussi se trouve dans un camp de réfugiés en Turquie.
«C’est difficile pour moi ici. Mais je ne peux pas rentrer. Les talibans* me tueront. J’ai eu le cœur serré quand j’ai vu les images de ce qui se passait en Afghanistan, comment les gens mouraient [à l’aéroport, en essayant de fuir à bord des avions américains, ndlr]. Nous ne pouvons pas appeler nos proches, nous n’avons pas de contact avec eux», déplore-t-il.
Pour Muhammed, Habib et bon nombre des 420.000 Afghans réfugiés ou en situation irrégulière actuellement en Turquie, le Graal est le plus souvent d’arriver à poser le pied sur le sol européen et de s’y construire une vie. «Il y a une situation de sauve-qui-peut», résumait pour Sputnik Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient. Un phénomène qui n’est d’ailleurs pas nouveau: «Jamais, depuis plus de quarante ans, l’immigration afghane vers l’Europe n’a cessé.» Mais qui prend des proportions considérables. Au début du mois d’août, avant même la prise de Kaboul par les talibans*, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) des Nations unies dénombrait 30.000 Afghans fuyant chaque semaine leur pays vers l’Iran, puis la Turquie. Destination visée, l’Europe.
Stratégie migratoire européenne inexistante
Problème: l’Europe, qui n’a toujours pas fini de digérer la vague migratoire de 2015, va désormais devoir faire face à une possible nouvelle crise migratoire.
«Cette crise afghane s’inscrit dans une problématique plus large: l’Europe n’a pas de stratégie migratoire. Pour le moment, on reste dans le coup par coup, dans le chacun pour soi, et ça ne fait pas une stratégie», explique à Sputnik l’humanitaire Françis Vallat, ex-président de SOS Méditerranée.
Celui-ci parle désormais en son nom et non en celui de l’ONG apolitique qu’il présidait. C’est d’ailleurs selon lui l’absence de stratégie qui en fait un problème aussi clivant au sein du Vieux Continent. Ainsi perçoit-il «trois sensibilités» sur la question au sein des sphères dirigeantes en Europe: «La première est plutôt favorable à une ouverture contrôlée. La seconde, marquée par une fracture géographique est-ouest, est complètement contre. Et une troisième ne cesse de repousser le problème, car il est difficile à affronter.»
Corrélation entre l’augmentation de la criminalité et l’afflux de réfugiés?
L’absence de stratégie politique rendrait le problème d’autant plus «anxiogène» pour les Européens.
Le crainte de voir une vague migratoire non maîtrisée se traduire par une criminalité en hausse semble lancinante. Commandée par ministère allemand de la Famille, une étude datant de 2018 révèle en effet une nette corrélation entre l’augmentation de la criminalité et l’arrivée de réfugiés. En 2015 apparaît un boum de la criminalité de +10,4%, imputé pour 92,1% à des réfugiés ayant fui les zones de guerre du Moyen-Orient.
À cela s’ajoute une crainte: l’attachement de la population afghane à une version rigoriste de l’islam. Selon un sondage de l’institut américain Pew Research Center de 2013, les Afghans plébiscitent la charia à 99% et sont à 87% favorables aux châtiments corporels.
«Les Afghans qui vont s’exiler, ce sont ceux des centres-villes. Ils réfutent le modèle de société conservateur offert par les talibans*. Ils sont plutôt attachés à un mode de vie occidental. C’est pour ça qu’ils partent», estimait quant à lui Gérard Vespierre, directeur de recherche à la Fondation d’études pour le Moyen-Orient (FEMO).
Ce clivage autour de l’accueil de réfugiés fait dire à Francis Vallat avec d’autant plus de force qu’aujourd’hui «ce qu’il faudrait dire à Bruxelles, c’est: définissez une stratégie, quelle qu’elle soit! Elle ne sera pas incontestable, car n’importe quelle stratégie est contestable, mais au moins y aura-t-il une feuille de route. C’est le devoir des politiques.» Pour lui, l’incertitude est le premier de tous les maux. L’essentiel pour les Européens serait de savoir que «le problème est pris à bras-le-corps».
«D’autant que les migrations, que ce soit en Afghanistan ou ailleurs notamment avec les futurs réfugiés climatiques, ne sont pas près de s’arrêter», conclut-il.
En 2020, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a, selon les informations du Parisien, répondu positivement à 5.381 demandes d’asile d’Afghans, sur 8.423. Ces derniers représentent le plus grand contingent de demandeurs d’asile dans l’Hexagone. Un chiffre qui est donc voué à augmenter dans les prochains mois.
* Organisation terroriste interdite en Russie.