À partir de la Révolution industrielle, aux XVIIIe et XIXe siècles, l'apport le plus fondamental dans l’apparition de l’entreprise moderne consiste en un changement radical en ce qui concerne la conduite et l'organisation du travail. L'habileté du futur dirigeant était mesurée par sa nouvelle capacité d'organiser, de subdiviser, de discipliner et de surveiller le travail de dizaines de personnes sans compétences précises.
L'ancêtre le plus direct de l'entrepreneur et de l'industriel moderne est ainsi l'artisan-commerçant, soit le commerçant tout court, qui s'est suffisamment enrichi pour faire travailler pour lui plusieurs personnes à la fois, dans sa propre cour et sous sa surveillance. Les drapiers, revendeurs de textiles et de draperies, apparaissent comme les symboles de cette période historique.
Parmi les grands théoriciens de la nouvelle organisation du travail figurent, particulièrement, deux personnes dont les œuvres sont considérées comme les bibles de la gestion moderne des entreprises. Il s’agit de Frederick Taylor (1856-1915), qui a théorisé l'organisation du travail, et d’Henri Fayol (1841-1925), qui s’est occupé de la rationalisation des tâches administratives et de direction. Les méthodes léguées par ces deux penseurs, ayant eu la main à la pâte dans le travail d’entreprise, sont considérées comme les principes du «management traditionnel».
En quoi consistent ces principes? Ont-ils été efficients dans le développement de l’entreprise moderne? Sont-ils encore respectés dans la gestion des sociétés contemporaines? Sont-ils réellement à l’origine de l’organisation pyramidale et hermétique des entreprises actuelles? Les méthodes modernes sont-elles une évolution ou, au contraire, une régression par rapport à ces mêmes principes?
Dans ce septième cours d’«Anti-néolibéralisme», Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, affirme auprès de Sputnik que «tout ce qui est enseigné dans les écoles d’économie ou de management, concernant les travaux de Taylor et Fayol, est une perversion de leurs pensées et principes».
Taylor et «l’organisation scientifique du travail»
«L'appellation "organisation scientifique du travail" utilisée pour désigner le système mis au point par Taylor est un abus de langage, du fait que la science n'a jamais eu pour objet de rentabiliser quoi que ce soit, mais de comprendre les phénomènes de la nature soumis à l’étude», explique le Pr Aktouf.
Et de souligner qu’«iI est absolument faux d'attribuer un caractère scientifique à ce qui n'est qu'un nouveau type de subdivision, de répartition et de contrôle du travail, en dépit du fait qu’on y utilise, légitimement, des moyens rationnels, systématiques et chiffrés». «Il y a une différence fondamentale entre recourir à des méthodes en lien avec la démarche scientifique pour réaliser un objectif donné et attribuer à cet objectif lui-même un statut scientifique».
Par ailleurs, il explique que «Taylor qui répétait sans cesse qu'il cherchait avec force et sincérité la paix, l'harmonie entre travailleurs et patrons et la prospérité conjointe, a vécu une longue durée dans l’amertume du fait que ses découvertes aient été trop souvent mal comprises, mal interprétées et même détournées au profit des patrons et des compagnies et au détriment du climat social et de la coopération dirigeants-dirigés».
Fayol, ou «le partage des bénéfices»
À côté de Frederick Taylor, Henri Fayol est le second pilier fondateur de la pensée de la gestion traditionnelle.
«L’une des plus importantes de ses trouvailles est le partage des bénéfices, y compris avec les ouvriers», informe Omar Aktouf, ajoutant que «l'écrasante majorité des manuels de management n'en parlent tout simplement jamais».
Pour Fayol, poursuit-il, la «question du partage des bénéfices enfantera un accord du capital et du travail et mettra un terme à l’antagonisme fondamental entre travailleurs et employeurs».
«Les pays dont les économies sont les plus fidèles aux principes de Taylor et de Fayol sont le Japon, l’Allemagne et les pays scandinaves», conclut-il.