Accueil de réfugiés afghans: «Ne jamais abdiquer sur nos valeurs. Sinon, ce sont les passions tristes qui triomphent!»

Choqués par les déclarations d’Emmanuel Macron sur les «flux migratoires irréguliers», plusieurs maires socialistes et écologistes ont émis le souhait d’accueillir des réfugiés en provenance d’Afghanistan. Pour le député François-Michel Lambert, le chef de l’État aurait dû être à la hauteur des événements et ne pas agiter les peurs.
Sputnik
«Heureusement qu’il y a eu cette réaction des collectivités, des maires écologistes et de gauche, pour dire que l’on ne peut pas piétiner comme cela les valeurs de la République.»
Adjoint en charge de la transition écologique à la mairie de Marseille, Sébastien Barles se félicite au micro de Sputnik que de nombreux édiles aient fait part de leur volonté d’accueillir les Afghans qui souhaitent fuir le régime des talibans*. Le maire socialiste de Marseille, Benoît Payan, a ainsi rappelé: «L’histoire de Marseille se confond avec celle des persécutés, des pourchassés, des affamés, venus ici pour survivre et puis vivre. Aujourd’hui qu’ils viennent de Kaboul où d’ailleurs ils auront toujours une place dans notre ville.»
​D’autres élus écologistes comme Anne Vignot, maire de Besançon, Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, Léonore Moncond'huy, maire de Poitiers, Grégory Doucet, maire de Lyon, ou encore Éric Piolle, maire de Grenoble, ont également signifié leur envie de répondre «au devoir d'humanité de la France». Dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 août, la France a d’ailleurs exfiltré depuis Kaboul 216 personnes dont 184 Afghans «de la société civile en besoin de protection», a indiqué le ministre des Affaires étrangères dans un communiqué publié ce mercredi.
«On doit accueillir dans la dignité ces personnes qui fuient, dans ce cas ce n’est pas la misère, mais qui vont être dans une situation d’asile politique», souligne Sébastien Barles
«Suite à ce drame, on voyait des Afghans qui s’accrochaient aux ailes des avions qui décollaient. On a un devoir d’hospitalité», insiste-t-il. En effet, dans leur hâte désespérée de quitter le pays, plusieurs personnes se sont accrochées à des avions de transport militaire américains décollant de Kaboul. Une tentative qui a coûté la vie à nombre d’entre eux.
​Ces événements tragiques font dire au député François-Michel Lambert, président du mouvement Liberté, Écologie, Fraternité (LEF), qu’Emmanuel Macron «devrait être à la hauteur de François Mitterrand, en parlant vrai aux Français et en n’agitant pas les peurs». Selon lui, «le temps que ce flux migratoire arrive en France, nous aurons subi plusieurs fois les catastrophes du dérèglement climatique». En témoigne, l’incendie qui a ravagé le Var et qui a tué deux personnes et blessé vingt-quatre autres. 
«Il doit mobiliser les Français sur les vrais dangers et non pas sur les fantasmes de hordes sauvages comme on peut imaginer celles qui déferlaient sur la France aux IVe et Ve siècles», fustige-t-il.
Pour les deux interlocuteurs de Sputnik, en évoquant une possible vague migratoire qui menacerait la France, Emmanuel Macron est dans le calcul politicien. Notamment pour éviter les critiques de la droite et de l’extrême droite. Sébastien Barles estime que c’est néanmoins «une course dangereuse, qui prend peut-être la trajectoire actuelle de notre société». «Si c’est un calcul, c’est très risqué parce qu’il peut perdre beaucoup dans cette affaire: c’est nos valeurs, notre pacte social républicain qui est aujourd’hui remis en cause dans cette déclaration», poursuit l’adjoint au maire de Marseille.
Macron réagit après le tollé suscité par ses propos sur les «flux migratoires» depuis l’Afghanistan
Pourtant, certains élus, à l’image de Christian Estrosi, craignent une arrivée de réfugiés en France. Le premier magistrat de Nice a ainsi indiqué qu’il ne souhaitait pas les accueillir dans sa ville, car elle a été «ces dernières années, victime du terrorisme de manière considérable». Un lien entre terrorisme et accueil de «réfugiés migrants» qu’établissaient 64% des Français, selon le «baromètre de la fraternité» de l’Ifop, publié en mai dernier. Une proportion qui a d’ailleurs augmenté de 11 points en trois ans.
Sébastien Barles dénonce un amalgame. Il en veut pour preuve les réfugiés afghans qui sont venus il y a une quinzaine d’années en France: «Aujourd’hui, ils ont trouvé des boulots, ont parfois repris des terres agricoles. On voit bien que ces personnes se sont intégrées. Ces exemples concrets montrent que ceux qui viennent savent respecter nos valeurs», affirme-t-il.
«C’est cette pédagogie des valeurs qui doit être portée par nos politiques. Il ne faut jamais abdiquer là-dessus. Sinon, c’est toujours la peur et les passions tristes qui triomphent!»
Reste l’épineuse question des capacités d’accueil. Depuis le début de l'année, l'Ofpra (l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides) a traité 8.200 demandes d'asile émanant d'Afghans. L’organisme accorde la demande de protection dans 64% des cas. Un chiffre qui atteint 89,9% après examen des recours, contre une moyenne de 63% sur l’ensemble de l’UE, selon les chiffres donnés par la présidence française. En 2019, l’Ofpra avait d’ailleurs reçu 132.614 dossiers. Vu cette pléthore de demandes, une vague de réfugiés supplémentaire serait-elle soutenable?
«Pour faire simple, ça sera 6.000, 10.000 réfugiés afghans? Et même si c’était 60.000? C’est quoi pour un pays de 66 millions d’habitants? Voilà les réalités qu’Emmanuel Macron aurait dû dire aux Français», rétorque François-Michel Lambert.
Et le député écologiste d’en appeler à la mémoire afin de ne pas répéter «les fautes commises dans l’accueil des personnes fuyant des régimes où ils risquaient la mort s’ils restaient, les Espagnols républicains fuyant le franquisme, les Arméniens lors du génocide turc».
«Il faut renouer avec notre vocation à être une terre d’asile», plaide Sébastien Barles.

* Organisation terroriste interdite en Russie.
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