C’est au tour du Canada de se prononcer sur la vaccination obligatoire. Le débat oppose déjà les deux principaux aspirants au poste de Premier ministre. Le chef du gouvernement sortant, Justin Trudeau, compte bien administrer une piqûre à chaque fonctionnaire fédéral, une mesure décriée par Erin O’Toole, le chef du Parti conservateur:
«Selon moi, c’est injuste de forcer les gens. On doit encourager et éduquer, mais pas forcer, et c’est possible d’utiliser un test de dépistage rapide quotidiennement, des masques et la distanciation. Il y a beaucoup de mesures envisageables.»
Vacciner des gens contre leur volonté, cela empiète-t-il sur les libertés individuelles? Le sujet donne le ton à la campagne fédérale qui vient tout juste d’être lancée, le 15 août dernier, alors qu’une quatrième vague de contaminations semble grossir à l’horizon et que quelque 27.000 morts dues au Covid-19 sont à déplorer depuis le début de l’épidémie.
Une mesure «antidémocratique»?
Célèbre défenseur des droits individuels, l’avocat Julius Grey estime en effet que la vaccination obligatoire violerait des droits fondamentaux. En revanche, il souligne que ces droits ne sont jamais absolus au Canada, bien qu’ils soient intégrés à la Constitution de 1982:
«La Charte des droits et libertés du Canada inclut déjà une disposition permettant de limiter l’application des droits. Il est fort possible qu’on évoque une situation exceptionnelle pour justifier ce scénario. […] Des violations sont possibles. Comme philosophe, je pense que la liberté a des limites, surtout quand il y a un état d’urgence découlant d’un événement comme une pandémie», souligne-t-il à notre micro.
Figure de proue du mouvement dit «antivaccin» au Québec, Gloriane Blais estime, à son tour, qu’aucun principe juridique ne peut justifier l’obligation vaccinale au sein de certains groupes. Une mesure ni plus ni moins «antidémocratique» à ses yeux.
Pour cette avocate spécialisée en responsabilité civile, le fait que les vaccins n’aient pas encore révélé «tous leurs effets secondaires à long terme» aurait dû suffire à écarter ce scénario:
«Le droit à l’inviolabilité de la personne est protégé à la fois par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. La vaccination obligatoire va clairement à l’encontre de ce droit fondamental. […] Selon moi, c’est un non-sens au niveau du droit que de vacciner quelqu’un contre son gré. En général, le droit sert à faire revenir la société vers le bon sens, mais actuellement, c’est l’inverse qui se produit», déplore-t-elle.
Constitutionnaliste réputé, basé dans la ville de Québec, Me Guy Bertrand préfère, quant à lui, laisser aux tribunaux le soin de se prononcer sur la question:
«Lorsqu’il y a atteinte à des droits fondamentaux, les deux notions importantes sont les mots “justifiable” et “raisonnable”. La Cour doit se demander si les mesures prises par le gouvernement pour combattre la pandémie sont justifiables. Dans l’affirmative, est-ce qu’elles sont raisonnables, c’est-à-dire le moins attentatoires possible, dans le cadre d’une société libre et démocratique?» s’interroge l’avocat.
Le 16 août dernier, le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, a précisé que des «solutions de rechange» seront offertes aux fonctionnaires fédéraux refusant de relever leur manche pour des raisons de santé.
Des accommodements raisonnables pour les réfractaires?
Pour Me Julius Grey, il est clair qu’Ottawa devrait offrir des dérogations à ceux qui s’opposent à la vaccination obligatoire pour des raisons médicales en particulier. Des possibilités qui ont déjà été accordées dans le pays pays pour d’autres motifs comme les croyances religieuses.
«Des droits, il y en a des deux côtés. Il y a le droit d’une personne à ne pas vouloir être contaminée par son collègue de travail, et le droit de ce collègue à ne pas subir un acte médical contre son gré. […] La Cour suprême du Canada a toujours dit qu’il n’y avait pas de hiérarchie des droits. […] On pourrait offrir des accommodements comme le télétravail, le port du masque et une plus grande distanciation pour les non-vaccinés, etc.», analyse l’avocat.
Alors que le débat battait son plein, le Premier ministre québécois, François Legault, a annoncé le 17 août qu’il rendrait obligatoire la vaccination pour l’ensemble des professions de santé. Est-ce une arme à double tranchant, alors que des milliers de travailleurs ont déjà quitté le réseau depuis le début de la pandémie, ce qui l’a encore plus fragilisé?
«C’est clair qu’on ne peut pas tolérer que des gens non vaccinés soient en contact avec des patients», s’est justifié le dirigeant provincial.