C’est une petite phrase qui passe mal. Emmanuel Macron a s’est exprimé le 16 août après la prise du pouvoir par les talibans* en Afghanistan. Le chef de l’État a souligné que la France «fait et continuera de faire son devoir pour protéger ceux et celles qui sont les plus menacés». Néanmoins, il a prévenu: «Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent et nourriraient les trafics de toutes natures.»
Une sortie qui n’a pas manqué de provoquer un tollé chez les personnalités politiques de gauche, à l’image notamment de Yannick Jadot.
«C’est un leurre»
Le député écologiste a en effet confié sur Twitter être «sidéré» d’écouter Emmanuel Macron déclarer que «les femmes, les hommes et les enfants qui fuient l’enfer des talibans* sont d’abord une menace, des “migrants irréguliers”, avant d’être des victimes et potentiellement des réfugiés».
Toujours à l’aile gauche de l’échiquier politique français, Karima Delli (EELV), Adrien Quatennens (LFI) ou encore, Najat Vallaud-Belkacem, ancien ministre de l’Éducation sous François Hollande, ne se sont pas privés d’exprimer leur indignation vis-à-vis des paroles présidentielles. Le lanceur d’alerte Edward Snowden a quant à lui publié un tweet lapidaire «Emmanuel Le Pen!». Le hashtag #EmmanuelLePen est vite devenu viral, une manière de signifier que la politique du chef de l’État n’aurait rien à envier à celle de Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national.
Une grille de lecture qu’est loin de partager le politologue Frédéric Saint Clair. Selon lui, le discours de l’Élyséen serait plutôt «un appel d’air», donc en totale opposition avec une politique de droite. «Il prétend qu’il va gérer ces “flux irréguliers”, mais en réalité il n’a en tête que de les répartir», estime l’auteur de La droite face à l’Islam (Éd. Salvator). Il va plus loin, accusant la politique migratoire des Européens guidée par Angela Merkel.
«C’est un leurre. Ce qu’il veut faire, c’est travailler avec Angela Merkel. Pourquoi? Parce qu’ils sont persuadés que le terreau islamique d’Asie centrale et du Moyen-Orient est une zone qui n’est pas viable parce qu’elle n’a actuellement pas appris les principes de base de la démocratie libérale. Ils considèrent donc l’Europe comme un sanctuaire pour toutes ces populations opprimées», analyse Frédéric Saint Clair.
En effet, lors de son allocution, le chef de l’État a appelé à «la solidarité dans l’effort, l’harmonisation des critères de protection et la mise en place de coopérations avec les pays de transit».
Un Président déjà en campagne?
Or, pour le politologue, Emmanuel Macron est «complètement hors sol» en «s’appropriant une guerre qui n’est pas la sienne».
«Ce sont aux Américains de prendre en charge les populations persécutées en Afghanistan», insiste notre interlocuteur.
En expliquant qu’il convient de se protéger contre ces vagues migratoires, le Président entre-t-il en campagne? «Il veut en tout cas donner l’image d’un Président de crise et montrer qu’il est sur tous les fronts, notamment à l’international, où il manque de légitimité», rétorque Frédéric Saint Clair.
«Il veut faire croire à l’électorat de droite qu’il est un Président réaliste qui comprend les enjeux et notamment les enjeux migratoires liés aux déstabilisations de certaines régions du monde», poursuit-il, estimant que ce serait tout l’inverse.
Frédéric Saint Clair pointe ainsi une «analyse complètement erronée». À ses yeux rien ne garantit le déferlement d’un flux migratoire massif.
Incompréhension des enjeux internationaux
Le politologue en veut pour preuve que les talibans* «sont entrés sans affronter la moindre résistance dans Kaboul, comme dans un certain nombre de villes».
«Cela n’est pas anodin. Les talibans* sont un phénomène naturel en Afghanistan. Certes, ils ne sont pas désirés, ne sont pas acclamés, mais ils font partie de la normalité. Le corps étranger, c’est le corps occidental. […] C’est l’enseignement de ce retrait américain: quand l’influence civilisationnelle est trop forte, on ne peut pas gagner la guerre.»
Frédéric Saint Clair souhaite que «l’Occident cesse son arrogance» et «réapprenne à cohabiter avec des socles civilisationnels qui ne sont pas les nôtres» et qu’il est nécessaire également «de respecter et encourager». Une attitude qui permettrait d’obtenir une stabilité politique.
Une stratégie géopolitique qu’a d’ailleurs évoquée Sergueï Lavrov. Le ministre russe des Affaires étrangères a prôné une «dialogue inclusif» avec «toutes les forces principales». En ne manquant pas de souligner: «Il ne fait aucun doute qu’il ne faut pas se laisser guider par les critères que les États-Unis et l'Otan ont tenté d'appliquer depuis vingt ans, mais s'inspirer du respect des traditions, de l'histoire et des coutumes de tous les Afghans.» Or avec une réelle politique de développement économique, les populations préféreraient rester chez eux et non pas s’enfuir «parce que leur environnement civilisationnel est conforme à ce qu’ils attendent», assure le politologue. Reste à espérer que ce développement économique ait lieu…
«Il n’y a pas de fatalité en politique internationale, les gens préfèrent rester chez eux plutôt que de partir. Ces “flux irréguliers” ne sont donc que de la communication de la part d’Emmanuel Macron. Cela témoigne de son incompréhension des enjeux internationaux», résume Frédéric Saint Clair.
* Organisation terroriste interdite en Russie.