À l’heure actuelle, l’Égypte est le quatrième bénéficiaire de l’aide internationale américaine derrière l’Afghanistan, Israël et la Jordanie. Et la cause de «la dispute de politique étrangère la plus importante de l'été» à Washington, selon les dires du journaliste américain David Hawking. L’enveloppe de 1,3 milliard de dollars destinée au Caire fait grincer des dents chez les plus farouches soutiens des droits de l’homme, Républicains et Démocrates confondus.
Le démocrate Chris Murphy, président de la commission sénatoriale sur le Moyen-Orient, a ainsi demandé au gouvernement de bloquer une dérogation qui permet de délivrer 300 millions de dollars d'aide militaire. Il estime que l'armée égyptienne se concentre «plus sur la répression interne que sur la sécurité régionale.»
Plusieurs ONG telles que Human Rights Watch accusent le gouvernement égyptien d’une répression sanguinaire. Détentions arbitraires et assassinats politiques constituent les principaux griefs à l’encontre d’Abdel Fattah al-Sissi, de son entourage et de ses soutiens. À titre d’exemple, l’exilé Aly Hussin Mahdy clame que sa famille a été torturée puis portée disparue en raison de son opposition au pouvoir.
«Aux États-Unis, comme ici en France, d’ailleurs, vous avez tout le champ à gauche et même une certaine extrême gauche qui conspue le régime égyptien en disant que c’est une dictature et tout ce qui va avec», constate à notre micro le géopolitologue Pascal Le Pautremat, peu surpris par une telle levée de boucliers.
La real politik avant les droits de l’homme?
Et notre interlocuteur de prévenir:
«Oui, il y a débat. Oui, il y a des invectives. Notamment de l’aile gauche du Parti démocrate. Mais je doute fort qu’il y ait un rétropédalage, même partiel, sur l’aide financière américaine à l’Égypte.»
Un rapport de forces interne qui n’a rien de nouveau donc, et qui ne pèserait pas assez lourd à côté d’un autre, plus global:
«En face, vous avez les Chinois qui sont dans une importante offensive géopolitique en Égypte. Ils contribuent au développement économique, industriel et entrepreneurial du pays», rappelle le spécialiste de la région.
Plus que les leçons de morale, Joe Biden craindrait surtout de laisser un vide que le nouvel ennemi numéro un des États-Unis pourrait combler sans peine. La Chine est à l’affût du moindre faux pas américain.
«L’Égypte pèse très lourd dans le jeu stratégique» régional
Historiquement lié au delta du Nil depuis l’époque des premières routes de la soie, l’empire du Milieu jette depuis plusieurs années des ponts avec le pays des Pharaons. L'Égypte a été, avec l'Afrique du Sud, l'un des premiers pays du continent africain à rejoindre la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII), l'une des institutions les plus importantes du dispositif de financement des projets développés par Pékin dans le cadre des nouvelles routes de la soie. En 2017, les échanges bilatéraux s’élevaient à environ 11 milliards de dollars.
«Derrière cette aide financière américaine, on retombe encore sur ce rapport de forces géopolitique et je vois mal Joe Biden renoncer à soutenir Le Caire, même avec al-Sissi au pouvoir», estime le chercheur.
Celui-ci rappelle, tout comme l’ont fait les membres du gouvernement Biden, l’importance stratégique de l’Égypte pour les États-Unis:
«À cheval sur deux continents, l’Égypte pèse très lourd dans le jeu stratégique en Afrique du Nord, en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient. Et c’est un acteur clé de la lutte contre le djihadisme et l’islamisme radical.»
De plus, le pays gère le canal de Suez, l’un des points de passage les plus importants du commerce maritime mondial. Il occupe un rôle particulier dans les discussions entre Israéliens et Palestiniens. Enfin, c’est un acteur central de la lutte contre le djihadisme et l’islamisme dans une région sensible à ce fléau. Autant d’éléments qui font dire à Pascal Le Pautremat qu’il est improbable de voir Washington réduire son enveloppe de 1,3 milliard de dollars.
L’Égypte, d’ailleurs, n’apprécie guère les leçons de morale. La France en sait quelque chose. Lors d’une visite présidentielle à l’ombre des Pyramides, fin janvier 2019, Emmanuel Macron avait conditionné le maintien de son déplacement à des garanties de la part de son homologue en matière de respect des droits de l’homme. Adoptée sous la pression d’ONG, cette posture avait provoqué l’ire du chef d’État égyptien. Résultat, l’Élyséen avait fait perdre plusieurs juteux contrats d’armement à la France.
Dans le même ordre d’idées, le candidat Joe Biden avait promis qu’il n’y «aurait plus de chèques en blanc» pour les «dictateurs préférés» de Donald Trump. Après son élection, la réalité semble l’avoir rattrapé…