30.000 personnes fuient l’Afghanistan chaque semaines vers l’Iran, puis vers la Turquie. Pour la plupart, la destination finale est l’Europe. Et ce chiffre, avancé par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) des Nations unies, ne fait qu’augmenter, à mesure que les talibans s’emparent de grandes villes et avancent vers Kaboul.
«L’avancée des talibans va provoquer une fuite éperdue des populations afghanes, que nous aurons à gérer. Cette pression migratoire ne va pas s’exercer que sur la partie orientale de l’Europe, mais elle se concentrera sur l’ensemble des routes migratoires, dont celles d’Europe occidentale», prévient notre interlocuteur
Une réalité que Bruxelles n’est pas prêt à affronter, estime quant à lui l’essayiste spécialiste des migrations Jean-Paul Gourévitch:
«L’Europe se prépare à une crise migratoire dont elle ne veut pas, et dont elle sait qu’elle ne pourra pas l’empêcher».
Au sein de l’Union, les États sont toujours extrêmement divisés sur la question migratoire. Pour preuve, la mise en garde de six États membres de l'Union européenne, dans une lettre adressée à la Commission, contre les risques que créerait selon eux la suspension des expulsions des demandeurs d'asile afghans déboutés.
Au moins dix pays européens opposés à l’accueil de réfugiés afghans
«Cesser les expulsions envoie un mauvais signal et c'est susceptible d'inciter encore plus de citoyens afghans à quitter leur pays pour l'UE», écrivent l'Autriche, le Danemark, la Belgique, les Pays-Bas, la Grèce et l'Allemagne dans la lettre commune, datée du 5 août, que Reuters a pu consulter. À ces six pays s’ajoutent ceux du bloc de Visegrad (la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie), hostiles à l’accueil de migrants depuis qu’ils ont subi de plein fouet la crise migratoire de 2015.
«Dans le même temps, trente ONG ont demandé au nom des droits de l’homme de suspendre les expulsions vers Kaboul», rappelle l’essayiste.
«La situation sécuritaire en Afghanistan ne permet pas de renvoyer des personnes vers ce pays sans qu’elles risquent leur vie», écrivent dans un communiqué commun les ONG européennes, dont l’association France Terre d’asile.
Même des pays habituellement favorables à l’accueil tempèrent donc aujourd’hui leur position. Selon Jean-Paul Gourévitch, cette pression migratoire risque de retomber en grande partie sur la France, l’Allemagne ayant signifié vouloir limiter le plus possible le nombre de réfugiés qu’elle accueille et l’Angleterre n’étant pas accessible par le continent. Or, dans leur écrasante majorité, les Afghans souhaitent se rendre en Allemagne, en France et en Angleterre.
Paris sous pression
En 2017, la France a «accepté 80% des 10.000 demandeurs d’asile afghans». Pour l’heure, le nombre de demandeurs n’a pas vraiment évolué dans l’Hexagone, mais le pourcentage des acceptations baisse et se situe actuellement à 60% selon le dernier rapport d’activité de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Or, si les niveaux d’acceptation restent les mêmes tandis que le nombre de réfugiés augmente de manière croissante, la pression migratoire risque d’être insupportable pour Paris.
«Nous allons être obligés d’accueillir un nombre qui n’aura aucun rapport avec les 10.000 demandes qu’il y a eu en 2020. Cela va probablement s’étaler sur un ou deux ans, mais nous allons être confrontés en France à une vague migratoire afghane extrêmement forte», anticipe Jean-Paul Gourévitch.
Un flux que la société française ne serait pas en mesure de digérer: «Si l’on continue d’en accepter quatre sur cinq, ou même trois sur cinq, on ne pourra fournir à ces gens ni de travail, ni de logement, ce qui est un facteur de déstabilisation», poursuit notre interlocuteur. Dans un pays qui a déjà un chômage structurel important et souffre d’une crise du logement elle aussi structurelle, cela ne présage rien de bon, estime notre interlocuteur.
Risque sécuritaire?
Lors de la crise migratoire de 2015, des éléments dangereux s’étaient immiscés dans les rangs des réfugiés marchants vers l’Europe. À titre d’exemple, en 2019, l’un de ces demandeurs d’asile afghans, diagnostiqué avec des troubles psychiatriques, a tué avec un couteau un jeune homme et blessé huit autres personnes. Plusieurs autres attaques avaient eu lieu en Europe du fait de personnes issues de cette vague de réfugiés.
Au niveau sécuritaire, le risque semble toutefois peu élevé selon Emmanuel Dupuy:
«Les Afghans qui arrivent en Europe ne présentent pas de risque sécuritaire. Le risque sécuritaire, c’est justement que l’on ne fasse rien face à la montée en puissance des talibans et leur arrivée au pouvoir. Ceux qui arrivent ne sont pas là pour commettre des attentats, mais pour fuir ceux qui commettent des attentats», estime Emmanuel Dupuy.
Selon Emmanuel Duypuy, les réfugiés seraient majoritairement des chiites du nord et de l’ouest afghan, traditionnellement hostiles aux Talibans. Sur ces images, prises par le journaliste Rusen Takva à la frontière turco-iranienne, l’on distingue une majorité de jeunes hommes.
Pour l’Europe, le premier front sera diplomatique. Face aux problèmes que peut créer cette arrivée massive de réfugiés afghans, il sera difficile de compter sur les pays de transit que sont l’Iran et la Turquie pour alléger la pression migratoire. Au contraire, les deux puissances moyen-orientales comptent surfer sur ce tsunami pour assouvir leurs visées géopolitiques:
«L’Iran va les utiliser pour mettre la pression à mettre sur les Occidentaux dans le cadre des négociations sur le nucléaire. Idem pour la Turquie qui, comme en 2016, utilisera la pression migratoire pour avancer ses pions géopolitiques vis-à-vis de l’Europe», avance le président de l’IPSE.
«Je ne pense pas que les Iraniens ou les Turcs mettront de la bonne volonté pour empêcher cette traversée des réfugiés afghans sur leur sol», poursuit-il.
Au niveau frontalier, l’Iran et le Pakistan accueillent aujourd’hui près de 90% des Afghans déplacés, soit plus de deux millions de réfugiés afghans enregistrés.