Forte de 44 athlètes, la délégation sportive algérienne a quitté les Jeux olympiques de Tokyo sans aucune médaille. Pourtant, un sportif s’y est illustré d’une manière singulière. Il s’agit de Fethi Nourine, 30 ans, espoir du judo dans la catégorie des moins de 73 kilogrammes. Le 22 juillet, ce triple champion d’Afrique et multiple champion d’Algérie a refusé de combattre le judoka israélien Tohar Butbul. Le boycott décidé par Fethi Nourine et son coach Amar Benikhlef en solidarité avec la cause palestinienne est largement soutenu par l’opinion publique algérienne. L’affaire prend vite une dimension internationale.
Anticolonialisme
En Algérie, certaines personnes ont critiqué le geste du judoka en mettant en son inutilité et son caractère «populiste».
Pourtant cette décision s’inscrit dans la position de l’État algérien qui s’oppose à toute normalisation avec Israël. Contacté par Sputnik, Ahmed Mahour Bacha, entraîneur d’athlétisme, indique que ce principe n’a aucune arrière-pensée «religieuse, raciste ou antisémite».
«Le problème ce ne sont pas les sportifs israéliens, ni même qu’ils soient juifs, d’ailleurs beaucoup de juifs et d’Israéliens sont pour la cause palestinienne. Ce n’est certainement pas une question de racisme ou d’antisémitisme, mais de lutte contre la colonisation. De par leur Histoire, les Algériens s’opposent à toute colonisation donc il est hors de question d’être confronté à des représentants d’un pays colonisateur», indique l'entraîneur.
Le boycott est appliqué lorsque les sportifs algériens se retrouvent en situation de confrontation directe contre des Israéliens. Les plus susceptibles de se retrouver dans cette situation sont généralement ceux des disciplines sports de combat et sports collectifs. Un nageur ou un sprinter qui se retrouve en finale en présence d’un athlète israélien n’est pas tenu de se retirer. Ahmed Mahour Bacha, ancien décathlonien et lanceur de javelot de haut niveau, assure que ce principe n’est inscrit dans un aucun texte officiel. «C’est une règle non écrite qui se transmet de génération en génération, d’entraîneur à athlète», dit-il. Il reconnaît cependant que ce principe a connu des entorses par le passé.
«En 40 ans de sport, je n’ai jamais entendu un responsable ou lu un seul document imposer cette interdiction. Par le passé il y a eu des confrontations avec des sportifs israéliens, mais c’était en catimini sans qu’Alger ne soit au courant. Sauf qu’aujourd’hui, avec Internet et les réseaux sociaux il est impossible de cacher quoi que ce soit», note Ahmed Mahour Bacha.
De retour à Alger, Fethi Nourrine et son coach Amar Benikhlef ont affirmé aux médias n’avoir reçu l’assistance d’aucun responsable de la délégation officielle algérienne présente à Tokyo. «Généralement, le sportif et l’entraîneur se retrouvent seuls, il n’y a aucun responsable du secteur des sports qui est là pour les orienter», note Ahmed Mahour Bacha.
Selon lui, les sportifs sont toujours très stressés car engagés dans une compétition après des années d’entraînement et finalement ils doivent tout arrêter pour ne pas «trahir» la cause palestinienne. Ahmed Mahour Bacha estime que cette question doit être prise en compte par les autorités algériennes car ce genre de situations va se reproduire souvent à l’avenir puisque Israël a décidé d’investir dans le sport de haut niveau.
Récupération islamiste
Fethi Nourrine, seul sportif dans sa discipline à avoir décroché son ticket pour Tokyo, est sous la menace d’une suspension définitive de la part de la Fédération internationale du judo. Le sportif qui a ouvertement affiché sa fierté d’avoir boycotté son adversaire israélien a été accueilli avec les honneurs de retour au pays. Mais très vite, son affaire a donné lieu à une forme de récupération de la part de certaines organisations islamistes, notamment l’Association des Oulémas (savants) musulmans algériens, qui tentent de donner une connotation religieuse à son geste.
Lahcene Bourbia, journaliste à Oran, ville où réside Fethi Nourine, indique à Sputnik que le judoka s’est prêté au jeu de cette organisation. «De par son éducation, son caractère, le milieu dans lequel il vit ainsi que ses convictions personnelles il est logique qu’il se comporte ainsi».
«Ce qui est inquiétant, c’est le dérapage non-sportif de l’affaire. Nous sommes sortis du cadre initial de cette affaire, lorsqu’un judoka algérien a refusé d’affronter un judoka pour des convictions politiques pour finalement prendre une manifestation religieuse. Les cercles et les personnes qui ont amplifié son geste ne peuvent pas en tirer profit en Algérie car l’opinion publique est acquise à la cause palestinienne», fait-il remarquer.
Le journaliste constate que ce sont les mêmes cercles islamistes «qui font dans la récupération et sont contre toute volonté de la société d’agir dans un sens de rationalité et de modernité». «Nous le constatons actuellement avec cette vague meurtrière du variant Delta du Covid-19 puisque ces groupes n’ont pris aucune initiative constructive. Au contraire, ils s’attellent à dénigrer la société civile qui agit pour trouver des sources d’oxygène et des équipements», regrette Lahcene Bourbia.