«Il est évident que le Royaume-Uni a gagné en souveraineté vis-à-vis de sa politique d’immigration. Le Brexit a délivré le Royaume-Uni de toutes ses obligations à l’égard de la politique européenne en matière d’asile.»
L’avocat Aurélien Raccah, maître de conférences à l’Université catholique de Lille, analyse ainsi l’ambitieuse réforme du droit d’asile dans laquelle est engagé depuis plusieurs semaines le Royaume-Uni. Priti Patel, ministre de l’Intérieur britannique à l’initiative du projet de loi, explique vouloir débarrasser le pays des «demandeurs d’asile qui échouent et coûtent un milliard de livres sterling par an au contribuable». Patel, elle-même fille de réfugiés d’origine indienne, est formelle: il s’agit selon elle de «la plus grande révision du système d’asile britannique depuis des décennies».
Si la Cour suprême du Royaume-Uni devra «s’assurer de faire respecter le droit» en matière d’asile, rappelle Aurélien Raccah, la sortie de l’UE devrait permettre aux Britanniques d’échapper à d’éventuelles sanctions financières ou juridiques.
«Les organisations internationales (Onu, Conseil de l’Europe) ont moins d’outils juridiques que l’UE n’en avait. Les sanctions seraient principalement diplomatiques plus que juridiques.»
Et la mise en place des procédures d’expulsion que prévoit notamment la loi n’est pas un problème de volonté politique, mais plutôt justement «d’ordre juridique et diplomatique», poursuit l’avocat spécialiste du droit européen.
Réduire par tous les moyens l’immigration illégale
Appelé Nationality & Borders Bill, le projet de loi stipule ainsi que «toute personne qui arrive au Royaume-Uni de manière illégale, alors qu’elle aurait pu raisonnablement demander l’asile dans un autre pays sûr», comme la France par exemple, soit «inadmissible» à l’asile au Royaume-Uni. Pis, les migrants illégaux récidivistes s’exposent par ailleurs à des peines pouvant aller jusqu’à quatre ans d’emprisonnement.
«Il y a un effet d’annonce politique, c’est une prise de position très populiste. Si le projet est voté, les conditions d’accueil des réfugiés au Royaume-Uni seront parmi les plus strictes», fait observer Aurélien Raccah.
L’objectif du gouvernement britannique est de contraindre les réfugiés à formuler une demande d’asile en bonne et due forme avant de se présenter aux frontières du pays.
«Criminaliser» les réfugiés?
De fait, les nouveaux venus ne disposeraient que d’une seule option légale: déposer leur demande d’asile avant d’arriver en Grande-Bretagne via le programme de réinstallation de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés. Un «dispositif très extrême, qui se rapproche de ce qui peut exister aux États-Unis, avec cette idée de “criminaliser” les réfugiés», estime notre interlocuteur.
Pour ceux dont la demande d’asile est acceptée, un nouveau statut de protection temporaire serait créé, en remplacement du droit automatique à l’installation. Ils verront ce statut régulièrement réévalué pour être potentiellement expulsés du Royaume-Uni. Par ailleurs, leurs droits en matière de regroupement familial et leur accès aux prestations sociales seront limités.
«Ce n’est pas du tout l’approche européenne à l’égard des droits de l’homme. On peut espérer que la pression internationale, notamment du côté des Nations unies, soit forte», poursuit le docteur en droit à l’Institut universitaire européen.
Une mesure par ailleurs impossible à mettre en application en France ou dans le reste de l’Union européenne. Pour des raisons «juridiques et constitutionnelles», la mise en place de «hotspots» situés à l’extérieur des frontières de l’espace Schengen est «impossible», rappelle Aurélien Raccah. «L’UE dispose de hotspots sur son territoire, en Italie et en Grèce. […] Il faut donc que les demandes soient déposées sur le territoire national», précise-t-il.
Vers une politique plus dure envers les pays d’origine des réfugiés
Autre spécificité prévue par le texte de loi: le ministère de l’Intérieur pourra suspendre ou retarder la délivrance de visas aux ressortissants de pays qui refuseraient de reprendre les personnes n’ayant pas obtenu de titre de séjour. Si le projet de loi est validé par le Parlement, le Royaume-Uni aurait ainsi la possibilité de tordre le bras aux pays d’origine des réfugiés, l’expulsion des déboutés du droit d’asile étant conditionnée, comme partout, à «l’accord de l’État d’origine du réfugié».
La France a d’ailleurs toutes les peines du monde à faire appliquer dans les faits les fameuses Obligations de quitter le territoire français (OQTF), dont le taux d’exécution varie entre 15% et 20% selon les années. Pis, selon un rapport de la Cour des comptes de 2015, 96% des déboutés du droit d’asile resteraient en réalité sur le sol français. La moyenne du taux d’exécution des procédures d’éloignement des pays de l’Union européenne se situe à 29%, ainsi que l’a rappelé récemment l’ex-négociateur du Brexit, Michel Barnier.
Un projet «cruel et inhumain»?
Présenté le 6 juillet dernier, le projet de loi est toujours en discussion au Parlement. Les députés conservateurs, majoritaires dans deux chambres, soutiennent massivement le texte gouvernemental. Et ce malgré la levée de boucliers de l’opposition travailliste et des associations humanitaires, vent debout contre un projet jugé «cruel et inhumain». Pour autant, si le Brexit permet au gouvernement britannique de s’affranchir de certaines contraintes européennes, celui-ci pourrait être rattrapé par la juridiction internationale, souligne Me Raccah.
«Le Royaume-Uni est toujours lié à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés, qui interdit de refouler ou d’expulser automatiquement des personnes qui se présentent à ses frontières. Il y a donc une obligation d’accueil et de protection des demandeurs d’asile sur le plan du droit international. Par ailleurs, les réfugiés doivent avoir la possibilité de contester en justice les décisions qui sont prises», prend soin de rappeler Me Raccah.
Mercredi 4 août, 482 hommes, femmes et enfants ont débarqué sur les côtes anglaises après avoir pris la mer à bord de 21 embarcations, a annoncé le ministère de l’Intérieur britannique. Depuis le 1er janvier 2021, plus de 8.500 migrants ont gagné illégalement le Royaume-Uni. Soit plus que sur toute l’année 2020 (8.461).