Reprise des négociations sur le nucléaire en vue? «Les Iraniens ont la patience que les Occidentaux n’ont pas»

Washington peine à convaincre Téhéran de revenir dans les négociations sur le nucléaire. Le nouveau chef de l’État iranien n’entend pas faire de concession sur sa politique étrangère. Attitude qui préoccupe au plus haut point Israël. De son côté, Tel-Aviv chercherait à faire capoter cet accord. Analyse avec l’avocat iranien Baki Maneche.
Sputnik
Les États-Unis s’impatientent face à la suspension des négociations sur le nucléaire iranien. Washington exhorte Téhéran à reprendre les pourparlers au plus vite. Les Américains exigent que Téhéran retourne aux termes de l’accord signé à Vienne en 2015, en respectant le taux d’enrichissement en uranium. Le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a affirmé le 5 août que le message de l’Administration Biden serait le même avec le nouveau Président iranien Ebrahim Raïssi qu’avec son prédécesseur, Hassan Rohani. Et d’ajouter qu’il s’agissait «d’une priorité». Cependant, la ligne adoptée par la Maison-Blanche, suivie par l’UE, s’est durcie, estime Baki Maneche, avocat franco-iranien et dirigeant associé du cabinet Ferdowsi Legal, basé à Téhéran.
«Cette posture plus dure affichée par les États-Unis et par l’Union européenne est une manière de mettre la pression sur l’Iran. Mais les Iraniens ont la patience que les Occidentaux n’ont pas,. Il y a une autre temporalité. Ils ne vont pas se précipiter dans un dossier si important», souligne-t-il au micro de Sputnik.
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Du côté iranien, pas question de fléchir. «Nous chercherons certainement à obtenir la levée des sanctions oppressives, mais nous ne lierons pas les conditions de vie de la nation à la volonté des étrangers», a proclamé Raïssi lors de son investiture le 3 août. «Avec cette attitude [des Occidentaux, ndlr], il y a peu de chances que les Iraniens acceptent de revenir», pronostique notre interlocuteur.
Un statu quo voué à perdurer donc? Si Téhéran avait marqué une pause dans les négociations, c’était pour une raison précise. «L’Iran refusait de négocier pendant la transition politique entre Rohani et Raïssi», explique l’avocat, qui précise: «L’Iran a besoin d’un accord, mais pas à n’importe quel prix.»

L’économie iranienne sous le poids les sanctions américaines

La nouvelle administration iranienne est en effet attendue au tournant par la société civile. Le pays traverse une grave crise économique due aux sanctions américaines. Ces mesures coercitives visent surtout le secteur pétrolier, mais aussi l’aéronautique, l’armement, les services financiers, les minerais… Les avoirs de certaines personnalités ou entités iraniennes sont gelés. Toute transaction en dollars avec l’Iran est interdite. Le pays des mollahs peine à attirer des investisseurs étrangers. La monnaie iranienne s’est effondrée face aux devises étrangères. Le chômage toucherait plus d’un quart de la population! La classe moyenne s’étiole. La pauvreté progresse. Tout cela expliquerait en grande partie le taux d’abstention record aux dernières élections présidentielles.
De surcroît, une sécheresse sans précédent frappe plusieurs régions. Dans certaines localités, la température atteint les 50°C. Le stress hydrique touche en effet plus de deux cents villes. Cette crise multidimensionnelle a poussé les Iraniens à descendre dans la rue, notamment dans le Khouzestan, à la frontière irakienne.
«La situation en Iran est critique, mais de là à croire que les Iraniens se précipiteront dans les bras de l’Occident, il y a un pas que je ne voudrais pas franchir. Pourtant, dans la grande majorité, ils veulent commercer avec l’Occident. Il y a un désir profond de la société iranienne de pouvoir acheter des produits occidentaux. Mais l’Iran reste prudent. Surtout depuis les déconvenues de l’accord de 2015, la confiance en l’Occident a été ébranlée. Et puis la nouvelle administration a mis un point d’honneur sur sa politique étrangère», affirme Baki Maneche.
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Le précédent exécutif aurait été prêt à négocier sur son influence régionale et son programme de missiles balistiques. L’ancien chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, avait même critiqué le défunt Général Qassem Soleimani, à en croire un entretien enregistré qui avait fuité alors qu’il était censé rester confidentiel. «J'ai sacrifié la diplomatie pour le champ de bataille», aurait-t-il dit, déplorant le poids et l’influence de la Force Al-Qods (une unité des Gardiens de la révolution) dans la politique iranienne au Moyen-Orient. Mais la nouvelle équipe dirigeante ne semble pas aussi sujette aux états d’âme.
Et c’est peu dire, tant Ebrahim Raïssi est acquis à la cause du corps des Gardiens de la révolution islamique. Ce groupe paramilitaire agit sous les ordres du guide suprême. C’est la cheville ouvrière de la politique étrangère iranienne. Une politique qui consiste notamment à renforcer les alliances traditionnelles de Téhéran dans la région, du Liban à la Syrie en passant par l’Irak.

Menaces directes d’Israël envers l’Iran

«La politique étrangère iranienne est vitale pour Téhéran. Donc, c’est non négociable pour le nouveau gouvernement», explique Baki Maneche. Dès lors, les exigences des mollahs vont à l’encontre des intérêts de certains pays. C’est notamment le cas de l’État hébreu. Lequel n’hésite pas à montrer son désaccord. Suite à l’attaque d’un drone sur le navire Mercer Street, géré par un milliardaire israélien, l’Iran est sur le banc des accusés. Les autorités iraniennes démentent toute implication dans cette agression par drone. Mais rien n’y fait, Tel-Aviv bombe le torse et brandit le spectre d’une guerre frontale.
Dans un communiqué officiel du 3 août, le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, a prévenu: «Le temps de s’installer confortablement à Téhéran et d’enflammer tout le Moyen-Orient à partir de là est révolu. Nous œuvrons pour mobiliser le monde, mais en parallèle, nous savons aussi agir par nous-mêmes. L’Iran connaît le prix que nous faisons payer lorsque quelqu’un menace notre sécurité.»
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Même son de cloche du côté du ministère de la Défense. Benny Gantz tente de convaincre la communauté internationale que l’Iran menace la stabilité régionale. «Le monde doit traiter le problème de l'Iran, la région doit traiter le problème de l'Iran et Israël doit également contribuer à cette action», a martelé ce farouche opposant à l’accord sur le nucléaire iranien. Ce ton pour le moins martial viserait à entraver le processus de négociations.
«Depuis le début, Israël est opposé à un accord sur le nucléaire. Il fait tout pour le faire capoter et entraîner l’Occident dans sa politique agressive vis-à-vis de Téhéran. Mais cette attitude sera contre-productive et ne fera que pousser un peu plus l’Iran vers la Chine et vers la Russie», avertit Baki Maneche.
Et c’est déjà le cas. En raison des tergiversations occidentales, Téhéran s’est rapproché de Pékin. En mars dernier, les deux pays ont conclu un accord commercial et militaire pour une durée de vingt-cinq ans. L’arrangement stipule que la Chine va investir 400 milliards de dollars au pays des Mollahs!
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