C'est une histoire tragique qui rappelle des milliers d’autres drames humains enregistrés chaque année sur la route de l’immigration clandestine. Le récent spectacle affligeant d’une Camerounaise manifestement en train de rendre son dernier soupir dans le Sahara choque et suscite l'indignation au Cameroun.
Si l'histoire d'Isabelle Mpouma, 37 ans, a autant ému, c’est bien à cause d’images devenues virales de ses derniers instants de vie. Dans une vidéo enregistrée par ses compagnons de route et partagée des milliers de fois sur la Toile depuis le début de ce mois d’août, on peut voir la jeune dame allongée sur le sable, visiblement déshydratée et à l’article de la mort.
Pour alerter sa famille, l’un de ces compagnons d’infortune filme la scène, donne quelques informations sur l’identité de la dame et la destination du voyage. On y apprend que le groupe constitué de 40 personnes essaie de rejoindre l’Italie, mais se trouve coincé depuis quatre jours dans ce désert à cause l’état de santé d’Isabelle.
L'homme souligne par ailleurs que le reste de la troupe est obligé de l’abandonner dans ce lieu et de poursuivre son chemin pour ne pas mettre en péril d’autres vies. L’on apprendra via ses mêmes compagnons de route que la jeune dame aurait fini par rendre l’âme dans ce désert.
Décourager les candidats au départ
La vidéo d’Isabelle agonisante va surgir sur les réseaux sociaux. Les membres de sa famille au Cameroun vont l’identifier et confirmer son décès. Cette mère d’un garçon, apprend-on, était avant son départ, coiffeuse dans un marché de la ville de Douala. Elle va abandonner son activité et sa famille, mi-juillet, pour prendre la route de l’immigration clandestine avec pour ultime destination, l’Italie. Dans le pays, le drame choque et beaucoup de réactions fusent.
Des leaders d’opinion ou des politiques, à l’instar de la députée Nourane Foster qui, tout en reconnaissant les difficultés rencontrées par les jeunes Camerounais et la part de responsabilité des dirigeants tente de décourager les futurs immigrés clandestins.
«J’aimerais ici lancer un appel à tous les jeunes ayant un tel projet d’y renoncer immédiatement. Notre gouvernement doit prendre ses responsabilités et protéger notre jeunesse», a-t-elle écrit sur le réseau social Facebook en s’appuyant sur des «images effroyables» du récent cas tragique.
Sur la Toile comme dans les médias du pays, de nombreux appels similaires sont lancés à l’endroit de potentiels candidats au départ: «Nous lançons un appel (…) à l'endroit de la jeunesse, afin qu'elle arrête de croire que l'Europe c'est le paradis», martèle le député François Biba.
Une sensibilisation… sans impact
L’histoire d’Isabelle est choquante, mais les drames sur le chemin de l’immigration clandestine sont enregistrés quasi quotidiennement. Dans le pays, de nombreuses familles sont encore sans nouvelles de leurs enfants partis sans crier gare. Les messages de sensibilisation et de nombreux drames enregistrés ne les dissuadent pas. De nombreux jeunes s’accrochent sur l’infime chance de réussite que leur fait miroiter l’Europe et tentent chaque jour l’aventure.
«La sensibilisation ne pouvait avoir un impact que si elle était accompagnée des alternatives nationales capables de donner espoir à cette jeunesse désemparée qui fait de la traversée du désert et de la méditerranée le meilleur risque», Aristide Mono, enseignant des sciences politiques à l’université de Yaoundé 2.
Pour le cas particulier du Cameroun, dans un contexte caractérisé par le chômage et où le sous-emploi touche 70% des jeunes, l’immigration clandestine est «l’une des manifestations du “péril jeune”» selon Aristide Mono.
«Les issues depuis près de quarante ans aujourd’hui sont totalement obstruées par la raréfaction des emplois et l’accaparement des ressources par une minorité élitiste. L’environnement qui devait tout de même permettre l'entrepreneuriat est totalement vicié et fermé de sorte que seules quelques miraculées prospèrent. Le chômage et le sous-emploi sont donc comptables de ces aventures périlleuses, ce d’autant plus que les lendemains restent de plus en plus sombres avec en prime, les conséquences chaotiques de la dégradation sécuritaire du pays», poursuit le politologue.
Fin juillet, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) s'est alarmée du décès par noyade dans un naufrage au large de la Libye d'une soixantaine de migrants cherchant à rejoindre l’Europe, parmi lesquels des femmes et des enfants, tous de pays d’Afrique subsaharienne. L’OIM souligne que le nombre de migrants décédés en mer en tentant de rejoindre l’Europe a plus que doublé cette année avec près de 900 morts déjà enregistrées.