Chronique d’une mort annoncée. La fin des «voitures à énergies fossiles carbonées» avait été prévue par la loi d’orientation des mobilités pour 2040, mais la Commission européenne souhaite accélérer le pas. Ainsi, dans le cadre du «Pacte vert pour l’Europe», ou «Green deal», Bruxelles mise sur «une réduction des émissions moyennes des voitures neuves de 55% à partir de 2030, et de 100% à partir de 2035, par rapport aux niveaux de 2021.» En clair, cela signifie la fin de la commercialisation de véhicules neufs à essence et diesel. Les voitures thermiques ou hybrides vendues d’ici cette date fatidique pourront néanmoins continuer à rouler. Pour la Commission européenne, il s’agit donc d’amorcer la transition pour atteindre un transport 100% décarboné en 2050.
Une interdiction irrationnelle?
Une mesure loin de plaire à l’Association des constructeurs européens d’automobiles. Selon eux, «interdire une technologie n’est pas une solution rationnelle à ce stade.» L’organisme estimant que «toutes les options, y compris les moteurs thermiques très efficaces, les hybrides et les véhicules à hydrogène doivent jouer un rôle dans la transition vers la neutralité climatique.»
Si les intentions en matière de protection de l’environnement sont louables, reste que cette transition pourrait coûter cher aux Français. En effet, acquérir un véhicule électrique neuf est loin d’être donné. Il faut compter à ce jour entre un peu plus de 16.000 euros pour une Dacia Spring jusqu’à 90.000 euros pour certains modèles de la marque Tesla. Alors, pour réduire le coût d’un changement de véhicule, une solution intermédiaire pourrait faire des émules: le rétrofit. Une pratique qui consiste à remplacer le moteur thermique de son véhicule en motorisation électrique à batteries ou à hydrogène (pile à combustible).
Rétrofit: 66% de moins de gaz à effet de serre
Comme l’explique au micro de Sputnik Arnaud Pigounides, co-président de l’AIRe, l’association qui représente les acteurs du rétrofit en France, ce procédé permettrait de «décarboner les mobilités» sans attendre 2035.
Ainsi il rappelle que le mix énergétique du transport routier dépend à «98% de produits pétroliers». Or, selon le ministère du Développement durable, ce secteur contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France. En 2019, il représentait 28,2% des émissions (94% des 31% d’émissions de l’ensemble du secteur des transports intérieurs). Le parc français routier comprend 44,4 millions de véhicules, dont 85% de voitures particulières (60% roulant au diesel), 13% de véhicules utilitaires légers (essentiellement Diesel) et 2% de poids lourds, y compris les bus et cars (roulant majoritairement au diesel).
«Selon une étude menée par l’Ademe au sujet du rétrofit, transformer un véhicule diesel au bout de 10 ans, malgré le fait que l’on crée des batteries, cela permet de diminuer de 66% les GES émis par ce véhicule, et cela va jusqu’à 87% pour un bus», se réjouit Arnaud Pigounides.
Néanmoins, le chemin est long pour démocratiser ce procédé. En cause, un cadre réglementaire qui a pris du temps à se mettre en place. C’est seulement depuis un décret datant du 6 avril 2020 que le rétrofit est officiellement reconnu. Selon ses estimations, on pourrait voir les premiers véhicules «rétrofités» d’ici six à neuf mois sur les routes françaises.
Il n’empêche qu’il «existe déjà un véritable engouement», se félicite le co-président d’AIRe.
«Sur le site de voitures anciennes Retrofuture, on était à à peu près 500.000 pages vues l’année dernière, qui ont généré 150 commandes. Cette année, on est sur une tendance à 1,5 million de pages vues. Cette activité de niche se retrouve à avoir le vent en poupe depuis quelques mois», explique Arnaud Pigounides.
Un intérêt croissant que ressent également Éric Planchais, directeur général de Carwatt, une entreprise spécialisée dans le rétrofit de véhicules industriels, qui utilise des batteries recyclées.
Une filière encore artisanale
«Depuis les mois février et mars, nous faisons un nombre de devis assez considérable», se félicite Éric Planchais. Il explique d’ailleurs cette hausse de la demande par le fait que de plus en plus de métropoles françaises vont instaurer des zones à faibles émissions.
«L’artisan, par exemple, qui a investi 3.000 ou 4.000 euros dans l’équipement de sa camionnette et qui ne pourra plus rouler, s’il doit acheter un véhicule électrique neuf, il devra à nouveau réinvestir pour réaménager ce dernier», détaille le directeur général de Carwatt.
En outre, si dans l’absolu, le rétrofit pourrait s’avérer avantageux financièrement dans les années à venir, la filière n’est pas encore «industrialisée» et reste «artisanale», concède Éric Planchais. En moyenne, le prix moyen d’un rétrofit auto oscille entre 15.000€ et 20.000€.
«Avec une massification prochaine des véhicules électriques, cela va faire baisser le prix des composants et cela va accélérer les solutions intermédiaires, comme le rétrofit, car il y aura des infrastructures développées à cet effet», indique Éric Planchais.
Pour ce faire, Arnaud Pigounides, qui est aussi PDG de Retrofuture, plaide pour «plus de soutien du gouvernement» afin de développer la filière. Sous peine de se voir distancer par les pays voisins.
«J’étais récemment à Munich chez le plus gros rétrofiteur allemand de bus, ils en sont déjà à 300 bus réalisés, des levées de fond de plusieurs dizaines de millions d’euros, parce qu’eux pouvaient le faire avant. Ils commencent même à répondre à des appels à projets en France, c’est génial parce qu’il en faut, mais c’est dommage que nous ne puissions pas jouer avec les mêmes règles», regrette Arnaud Pigounides.
Et le jeu en vaudrait la chandelle, à en croire le co-président d’AIRe. Dans les dix ans, il confie que l’ambition est de «transformer 3% du parc automobile, soit 1,2 million de véhicules», cela permettrait de générer «24 milliards d’euros de chiffres d’affaires». Mais surtout de «créer ou préserver 40.000 emplois en France», avance le patron de Retrofuture.
«On fabrique les systèmes en France au maximum, ils sont homologués en France, implémentés par des garages et sociétés partenaires en France, le Renault master qui est à Strasbourg, sera transformé à Strasbourg, on ne va pas l’envoyer en Roumanie. C’est donc très vertueux», résume Arnaud Pigounides.