Le Hezbollah serait-il en passe de dominer le Liban? Profitant d’un soutien financier iranien constant, le parti chiite souffre moins de la crise économique qui sévit au pays du Cèdre. La monnaie nationale a dégringolé à 19.000 livres libanaises pour un dollar au marché noir. Le salaire minimal a perdu environ 90% de sa valeur. Les prix du pain, de l’essence et de l’électricité ne cessent d’augmenter. Le pays va bientôt manquer de médicaments… En revanche, le puissant parti pro-iranien a pris plusieurs mesures pour pallier les manquements de l’État. Ainsi a-t-il mis en place un réseau de supermarchés communautaires, avec des aides allouées aux plus nécessiteux. Dans cette chaîne baptisée Al-Sajjad, on trouve des produits en provenance de Syrie, d’Irak et d’Iran.
«Au sein même du parti, nous savons tous que chaque initiative d’un pays occidental proche des États-Unis ira à notre encontre. Les États-Unis et leurs alliés veulent nous faire passer pour les responsables de cette situation catastrophique. Mais celle-ci résulte d’une mauvaise gouvernance, d’un alignement sur des décisions libérales qui datent d’au moins trente, voire quarante ans», explique notre interlocuteur.
Le Hezbollah est entré au Parlement en 1992. Mais il n’a hérité de plusieurs ministères qu’à partir de 2005. Voyant d’un mauvais œil l’influence grandissante du parti sur le Liban, Washington n’a pas hésité à s’attaquer au porte-monnaie de l’organisation. Des mesures ont été prises dès 1996. Les dernières datent de mai dernier. Le 11 mai, le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control, OFAC) du département du Trésor américain a sanctionné sept personnes affiliées au parti. L’association Al Qard el Hassan est également ciblée par les États-Unis. Proche du mouvement pro-iranien, celle-ci a été fondée en 1982. Forte de trente filiales, elle opère comme une banque. Pourtant, cela n’a pas empêché la formation chiite d’avancer ses pions! Par l’intermédiaire de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, l’organisation a évoqué la possibilité de se rendre en Iran afin de «négocier» l’importation à Beyrouth de mazout et d’essence «si l’État libanais n’a pas le courage de le faire lui-même» pour remédier aux pénuries.
Le Hezbollah aide les houthis
En Irak, les nombreuses milices chiites des Hachd el Chaabi prendraient également exemple sur l’organisation et le professionnalisme des combattants du Hezbollah. «Plusieurs hauts gradés du parti sont en Irak pour superviser les opérations», nous rapporte notre source. Le Hezbollah serait ainsi le fer de lance de la politique extérieure iranienne. Téhéran entend sanctuariser un axe chiite allant de l’Iran jusqu’à la Méditerranée en passant par l’Irak, la Syrie et le Liban. Cet objectif semble de plus en plus réalisable, en grande partie grâce à l’expansion du parti chiite libanais.
«L’Iran agit comme le protecteur naturel des chiites dans la région. Téhéran décide d’intervenir quand la communauté est en danger. C’était le cas en Syrie et en Irak avec la menace de l’État islamique*. Pour eux, nous sommes leurs plus grands ennemis. Donc nous nous défendons», résume le membre du Hezbollah.
Plus surprenante encore, l’implication aux côtés des rebelles yéménites houthis. Depuis 2010, les services de renseignements iraniens (VEVAK) et plusieurs cadres du Hezbollah fourniraient du matériel aux insurgés, qu’ils entraîneraient dans des bases secrètes... en Érythrée. Indépendamment du soutien militaire, le Hezbollah et les houthis font partie de «l’axe de la résistance». Les deux partis reprennent la même sémantique anti-sioniste et anti-américaine. «Les houthis sont nos alliés et, tant qu’ils seront en danger, nous leur fourniront une aide logistique», nous précise notre interlocuteur sur un ton martial.
Véritable puissance régionale, le Hezbollah n’aurait jamais pu constituer cette mosaïque d’alliances sans son principal fait d’armes: la victoire contre Tsahal en 2006.
En 2006, contre le Hezbollah, «les soldats israéliens avaient peur»
Il y a quinze ans et contre toute attente, les troupes israéliennes s’embourbaient au Sud-Liban, échouant à annihiler les capacités militaires du Hezbollah. Cette guerre, dite «des trente-trois jours», a autant révélé le manque de préparation israélien que la combativité des chiites. En effet, Ehoud Olmert, Premier ministre israélien de l’époque, qui avait une faible connaissance des dossiers militaires , ne voulait pas d’opération au sol. «Une fois au Liban, les soldats israéliens avaient peur, ils ne connaissaient pas bien nos villes, nos villages et on arrivait à les surprendre facilement», relate avec fierté le membre du Hezbollah, vétéran de ce conflit.
C’est, selon lui, l’encrage populaire du mouvement qui a facilité l’unité des villes sous la menace israélienne et donc l’esprit de défense. Tsahal ne pouvait plus s’appuyer sur des relais locaux comme durant la guerre civile libanaise entre 1975 et 1990. Le soutien de la population du Sud-Liban envers le Hezbollah était unanime.
«Cette guerre contre un ennemi plus puissant que nous est un exemple étudié dans toutes les écoles de guerre. Et nous savons pertinemment que cette victoire nous a permis de sanctuariser notre présence dans la région et interdit aujourd’hui à Israël d’agir à sa guise», estime notre source locale.
«Israël aura vécu son Vietnam au Sud-Liban», ne craint-il pas d’affirmer. En effet, 116 soldats de l’armée israélienne sont morts au cours du conflit, infirmant ainsi la réputation d’invulnérabilité de Tsahal.
Le Hezbollah a dès lors joui d’une vague de popularité étonnante à travers le monde arabe depuis cette victoire. Le mouvement chiite était même adulé par les sunnites. Des manifestations en soutien au Hezbollah étaient organisées du Maroc au Golfe, aussi bien par des leaders socialistes ou islamistes issus des Frères musulmans*. À Tripoli, des milliers de Libyens descendaient dans les rues pour exprimer leur appui à Hassan Nasrallah et inciter le mouvement chiite à attaquer Tel-Aviv. «Pour une fois, on ne parlait plus d’opposition sunnite-chiite et la lutte contre Israël fédérait toute une région», se souvient le membre du parti libanais. Au lendemain de cette victoire, de nombreux médias arabes faisaient même un rapprochement entre l’ancien leader égyptien Gamal Abdel Nasser qui avait nationalisé le canal de Suez en 1956 et Hassan Nasrallah.
Quinze ans après «cette victoire divine», le Hezbollah a bien fait fructifier ses lettres de noblesses.
* Organisation terroriste interdite en Russie.