Quand le mouvement woke veut «déblanchiser» les universités canadiennes

Le fulgurant essor du mouvement «woke» inquiète au sein de l’éducation et des parlements au Canada. Pour Robert Leroux, sociologue à l’Université d’Ottawa, ce courant est en train de profondément transformer les universités du pays. Et pas pour le mieux: selon lui, les menaces contre la liberté d’expression s’accumulent au nom de la «diversité».
Sputnik

Au pays de l’érable, les terribles découvertes de plusieurs dizaines de corps d’enfants autochtones sur les sites d’anciennes écoles semblent déjà contribuer à «radicaliser» le mouvement «woke».

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C’est du moins ce que craint le sociologue Robert Leroux, auteur de plusieurs articles sur cette nouvelle mouvance, qui se dit «éveillée» aux oppressions que subiraient les minorités ethniques, sexuelles ou sociales. Un courant de pensée qui accuse en conséquence des personnes blanches d’aujourd’hui de crimes passés ou les bannit des lieux de savoir.

Professeur à l’Université d’Ottawa, il explique qu’au Canada, la spécificité du mouvement «woke» est d’être très centré sur la reconnaissance des Premières Nations, étant l’un des fers de lance du projet de «décolonisation». À l’heure où des statues de personnages historiques sont déboulonnées, des universités participent également à cette entreprise de révision du passé.

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Le 6 juillet dernier, la presse relatait que l’Université Ryerson, à Toronto, n’avait jamais autant subi de pressions pour être renommée. L’ancien ministre canadien Egerton Ryerson fut l’un des principaux concepteurs des pensionnats indiens, système ayant arraché à leurs familles 150.000 jeunes Autochtones aux XIXe et XXe siècles. Consacrés à l’assimilation des Autochtones à la culture européenne, un grand nombre de ces établissements étaient administrés par l’Église catholique. Les derniers pensionnats de ce type ont fermé leurs portes à la fin des années 1990.

«Cette sensibilité pour les Premières Nations distingue le mouvement woke au Canada de son pendant aux États-Unis, où l’on se concentre beaucoup plus sur la question noire. On parle maintenant “d’autochtoniser” les départements. C’est une manière de dire qu’il faut les “déblanchiser”. […] On devrait être capable de reconnaître l’apport des Autochtones sans remettre en question toutes les institutions», estime le sociologue.

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Selon Robert Leroux, la tragédie des pensionnats doit être élucidée, mais celle-ci s’avère d’ores et déjà récupérée par des militants pour accentuer ce qu’il voit comme une fracture entre «la nouvelle université et l’université traditionnelle». La première étant centrée sur la lutte contre le racisme, et la seconde «sur le savoir, sans considération pour les origines des gens.» Le malaise n’est pas né d’hier, car depuis quelques années, les controverses s’enchaînent dans les établissements canadiens.

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La dernière grande attaque en règle a éclaté fin mars dernier, lorsqu’un universitaire avait déclaré, entre autres, que «les hôpitaux du Québec semblent tuer des patients noirs et autochtones.»La sortie d’Amir Attaran lui avait attiré les foudres des politiciens. «On va toujours être là pour défendre la liberté d’expression, mais je pense que ça va faire, le Québec bashing [c’en est assez du dénigrement de Québec, ndlr].» Ce sont les mots qu’a utilisés le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, pour condamner les propos de ce professeur de l’Université d’Ottawa.

Dans la province francophone, c’est en octobre 2020 que la limite semble avoir été franchie pour la classe politique. À cette époque, le Premier ministre québécois, François Legault, avait évoqué un «dérapage important et inquiétant» en commentant la suspension d’un professeur de l’Université d’Ottawa, obtenue à la demande de certains de ses étudiants. Une polémique qui a fait le tour du monde. La faute reprochée à la principale intéressée, Verushka Lieutenant-Duval? D’avoir prononcé le mot «nègre» en anglais, dans le cadre d’un cours sur l’histoire de la condition noire et des groupes opprimés.

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Robert Leroux est de plus en plus inquiet par ce qu’il perçoit être une «grave dérive» dans son institution, mais aussi dans l’ensemble des universités canadiennes. M. Leroux a reçu en 2008 le prix Charles-Dupin de l’Académie des sciences morales et politiques de Paris pour son livre Lire Bastiat (Éd. Hermann). Rappelons que le mot woke vient du verbe to wake en anglais (se réveiller), désignant un nouveau courant progressiste.

«Depuis environ cinq ans, tous les nouveaux postes offerts se rattachent à l’idéologie woke. Hommes blancs et femmes blanches, s’abstenir: il est devenu presque impossible pour une personne blanche d’être embauchée dans une université. L’idéologie l’emporte complètement sur le savoir. […] Il va finir par y avoir une baisse dramatique des demandes d’inscription. Peut-être faut-il laisser l’université s’autodétruire pour qu’elle puisse un jour renaître», souligne notre interlocuteur à notre micro.

Robert Leroux retrace l’origine du mouvement «woke» dans la gauche occidentale des années 1960 ayant abouti, entre autres, à des mouvements comme ceux de 1968, en France. En revanche, le nouveau courant est «beaucoup plus dogmatique et intolérant» que ses ancêtres idéologiques, observe-t-il. Le sociologue lance d’ailleurs un avertissement aux Français: «Ça vient aussi en France et ça va frapper.»

«Le wokisme et le féminisme ont des modes de pensée similaires. On emploie le même vocabulaire. Chez les féministes, on parle de l’homme dominateur et chez les wokes, on parle de l’homme blanc dominateur. C’est à peu près le même discours. C’est toujours l’idée d’un exploiteur exploitant un exploité. Tout se résume à grand combat entre des petits et des grands. Ce sont des théories vides qui n’ont d’autre but que de détruire l’université et les valeurs traditionnelles», s’insurge le professeur.

En mars dernier, le gouvernement du Québec a annoncé que l’ancien ministre Alexandre Cloutier présiderait le nouveau Comité d’experts sur la reconnaissance de la liberté académique. Le comité sera chargé de surveiller l’évolution de la situation au Québec, et de rendre compte des derniers développements en la matière. Une mesure suffisante?

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De son côté, en septembre 2019, le gouvernement de l’Alberta a annoncé que les universités devraient se conformer aux principes de Chicago, mesure devenue emblématique de la problématique en Amérique du Nord. Adoptée en 2014 par le Comité sur la liberté d’expression de l’Université de Chicago, cette déclaration veut «garantir à tous les membres de la communauté universitaire la plus grande latitude possible pour parler, écrire, écouter, débattre et apprendre.» À ce jour aux États-Unis, au moins soixante établissements ont adopté cette résolution en faveur du free speech.

Mais pour le moment, Robert Leroux ne voit pas de solution politique à l’emprise du mouvement woke dans les institutions d’enseignement. «Ça ne viendra pas de notre Premier ministre, Justin Trudeau: il est lui-même un woke!», ironise-t-il.

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