«Je peux dire en toute confiance que ma nomination est un moment historique et une étape importante dans ce chemin très long de la réconciliation», a déclaré Mary Simon le 6 juillet, à l’occasion de sa nomination comme gouverneur général. Ex-ambassadrice au Danemark et défenseur des droits des peuples inuits, auxquels elle appartient, Mme Simon aura maintenant la tâche de représenter la Couronne britannique au Canada. Comme le veut la tradition, le Premier ministre fédéral, Justin Trudeau, en a fait l’annonce en grande pompe:
«Aujourd'hui, après cent cinquante-quatre ans, notre pays franchit une étape historique. Je ne peux penser à une personne mieux placée pour répondre à ce moment», s’est réjoui Justin Trudeau à ses côtés.
La question linguistique pourrait hanter la nominée
Professeur de droit et analyste politique, Guillaume Rousseau estime que ce geste s’inscrit bel et bien dans la réconciliation, mais vise aussi à satisfaire l’électorat du Parti libéral, la formation du Premier ministre. En revanche, le fait que Ningiukudluk (nom inuit de Mary Simon) ne parle pas français «envoie un mauvais message» pour la protection de la langue de Molière:
«À la veille du déclenchement probable d’élections, tout devient électoraliste. Justin Trudeau est reconnu pour faire beaucoup dans l’image: c’est quelqu’un qui aime les symboles et cette nomination en est un. […] Concernant la question du français, il faut bien saisir que ça faisait des décennies qu’un gouverneur général unilingue anglophone avait été nommé. C’est un grave retour en arrière», déplore le vice-doyen aux études de la faculté de droit de l’université de Sherbrooke.
Se préparant déjà au pire, Mme Simon a toutefois assuré qu’elle avait «l’intention de travailler dans les deux langues officielles». «Beaucoup de gens dans mon entourage vont m’aider à parler français», a-t-elle dit. Une sortie qui est loin de satisfaire certains nationalistes québécois, chez qui le choix de cette femme de 74 ans suscite des réactions passionnées. Pour l’auteur et chroniqueur Mathieu Bock-Côté, connu pour son ardent patriotisme, l’affectation d’une militante s’exprimant en inuktitut et en anglais prouve que «le français est de plus en plus perçu comme un obstacle» à la diversité ethno-culturelle.
Selon Guillaume Rousseau, Justin Trudeau aurait pu choisir une personne autochtone parlant les deux langues officielles du Canada. «Il n’en manque pas», remarque-t-il.
Le français comme «obstacle» à la diversité? «On voit l’absence de cohérence»
En promouvant Mary Simon, Justin Trudeau «met en opposition Autochtones et francophones», créant ainsi une sorte de politique de division.
«On peut minimiser en disant que le gouverneur général est lointain, symbolique, mais il reste un personnage central dans l’administration de l’État fédéral. Et justement, c’est surtout dans l’administration fédérale qu’il y a une bataille à mener pour la survie du français. C’est là que s’applique la loi sur les langues officielles. On se retrouve avec un gouverneur général qui ne va certainement pas prêcher par l’exemple», poursuit l’universitaire.
«Justin Trudeau vient de déposer un projet de loi pour accentuer le caractère bilingue de l’État fédéral. Et voilà maintenant qu’il pose un geste en sens inverse. C’est là qu’on voit l’absence de cohérence et de vision d’ensemble de sa part. […] Depuis une quarantaine d’années, il y a des gains pour les Autochtones et des reculs pour le Québec», observe l’avocat.
Mary Simon remplacera Julie Payette comme représentante de la Couronne britannique. L’ex-astronaute avait démissionné en janvier dernier, éclaboussée par divers scandales, le plus frappant portant sur le climat de travail «toxique» qu’elle aurait fait régner à son bureau.