Depuis le Moyen-Âge, la notion de profit généré par l’usure porte la marque des banquiers lombards avec qui le commerce de l’argent s’est développé. Ces personnes prêtaient aux rois, aux nobles et aux seigneurs en contrepartie d’intérêts élevés. Ce type de crédit est toujours couramment utilisé de nos jours par les banques centrales quand elles prêtent aux établissements bancaires en échange de valeurs mobilières laissées en dépôt, telles que les obligations souveraines.
Ce mode de fonctionnement de la finance est le pilier central du système néolibéral anglo-américain dominant.
Ainsi, qui a théorisé cette notion de profit et fait d’elle l’outil de quantification de la bonne ou mauvaise santé financière et économique d’une entreprise ou d’un pays? D’un point de vue scientifique, le profit a-t-il vraiment le statut qu’ont voulu lui donner les théoriciens néolibéraux? Est-il vrai que les économistes Adam Smith, David Ricardo, Henri Fayol, Frederick Taylor, Abraham Maslow, Elton Mayo et autres, pour ne citer que les plus importants, sont à l’origine de la théorie néolibérale telle que nous la connaissons aujourd’hui en science économique et management?
Dans ce deuxième cours d’«Anti-néolibéralisme», Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, estime auprès de Sputnik que ce qui est enseigné dans les écoles d’économie, de finance et de management «est une déformation de la pensée de ces grands économistes dans le but de faire plaisir aux détenteurs du capital».
Smith contre le marché libre?
Assurant avoir consulté durant une année les originaux des livres écrits par ces économistes exposés au British Museum de Londres, le Pr Aktouf affirme à titre d’exemples qu’«Adam Smith n’a jamais dit dans son livre "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations" [dont la version originale contient 800 à 1.000 pages, contre environ 500 pour celle en circulation actuellement, ndlr] qu’il fallait laisser libre cours au marché sans le faire surveiller par l’État. Idem pour la notion de "main invisible"».
Au contraire, l’expert avance que Smith a écrit: «Si vous laissez trois hommes d’affaires faire tout ce qu’ils veulent sans surveillance ni contrôle de l’État, vous aurez tout simplement trois bandits qui volent le pays». Dans le même sens, il ajoute que «"la main invisible" ne voulait pas dire la liberté absolue sans contrôle ni contrainte. Smith avait utilisé ce concept comme une métaphore philosophique et poétique pour décrire la dynamique économique qu’il observait à Londres et sur laquelle il n’arrivait pas à mettre un nom». Le fond de sa pensée, poursuit-il, «expliquait qu’en économie le profit n’existe pas».
Par ailleurs, M.Aktouf cite Frederick Taylor: «Quand tous les coûts de l’entreprise sont payés, tout ce qui reste doit être partagé équitablement entre tous les employés».
«Smith n’aurait jamais renié Marx»
D’après Omar Aktouf, pour écrire son livre «Le Capital», Karl Marx est parti des travaux d’Adam Smith pour démontrer «que le profit n’existe pas». Ce qui lui permet de dire que «Smith n’aurait jamais renié les travaux de Marx».
Enfin, le Pr Aktouf est formel: il a lui-même démontré «en utilisant les sciences physiques, notamment la thermodynamique, dans certains de ses récents travaux, que le profit n’existe pas en économie».
«Ce qui fait le profit, c’est le pillage de la nature et du travail», insiste-t-il. Et de conclure: «Lorsque les coûts sont payés, le capital est déjà rémunéré du fait que ces derniers intègrent les salaires et les dépenses d’extraction et de transformation des matières premières».