Taïwan: un conflit sino-américain pourrait «être déclenché sans que cela soit vraiment voulu»

Pour les cent ans du parti communiste chinois, Xi Jinping a appelé une nouvelle fois à la réunification avec Taïwan. Si Hugues Eudeline n’exclut pas un conflit sino-américain sur cette nouvelle ligne de front, l’ancien commandant de sous-marin et spécialiste de la géopolitique chinoise imagine aussi la mise en place d’un blocus naval de l’île.
Sputnik

«Résoudre le problème de Taïwan et réaliser la réunification complète de la patrie sont la mission historique et immuable du Parti communiste chinois» a lancé Xi Jinping à l’occasion du centenaire du PCC ce 1er juillet.

Si le Président chinois a appelé à travailler à une «réunification pacifique», il a promis d’«écraser les complots d’indépendance» de l’île, considérée par Pékin comme une province dissidente. Taïwan pose un «double problème» à Xi Jinping, confirme Hugues Eudeline, ancien commandant de sous-marin et spécialiste de la marine chinoise.

Lignes rouges –Jean-Baptiste Mendes reçoit Hugues Eudeline, ancien commandant de sous-marin, vice-président de l’Institut Jacques-Cartier, auteur de plusieurs articles sur la géopolitique maritime chinoise et d’ouvrages sur les violences maritimes.

D’abord de souveraineté, puisque le chef de l’État chinois «a promis au peuple chinois de reprendre l’île.» Mais également géopolitique, la capacité militaire de la Chine étant «très limitée par sa géographie». En effet, ses 18.000 km de côtes n’ont «pas libre accès» à l’océan Pacifique, parce qu’elles sont «longées par une première ligne d’îles» qui ne sont pas dirigées par Pékin. En premier lieu, Taïwan. Son retour dans le giron chinois donnerait à Pékin le moyen d’étendre son leadership maritime sur l’Asie.

«La Chine est une île géopolitique. C’est un pays qui ne peut réellement commercer, s’ouvrir vers le monde qu’à travers ses côtes […] La Chine a absolument besoin de son accès maritime. Et à partir du moment où elle veut commercer avec le monde, il lui faut une marine de guerre capable de protéger son commerce maritime et ses expatriés partout dans le monde», estime l’auteur de plusieurs articles sur la géopolitique maritime et la marine chinoises dans la Revue Défense nationale.

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La Chine est donc confrontée à un problème de taille, Taïwan, île de 23 millions d’habitants soutenue par les États-Unis, son allié militaire numéro 1 et son premier fournisseur d’armes. Depuis la place Tiananmen, le Président chinois a donc lancé un avertissement très ferme à ses rivaux géopolitiques, au premier rang desquels Washington. Exaltant la renaissance de la nation chinoise, il a affirmé que «nous ne permettrons jamais à quelque force étrangère de nous malmener, nous oppresser.»

Une guerre inévitable?

Quiconque le tenterait «se heurterait à la grande muraille d’acier forgée par plus de 1,4 milliard de Chinois», a-t-il ajouté d’un ton martial, évoquant la modernisation de l’Armée populaire de Libération (APL), c’est-à-dire l’armée chinoise. D’ores et déjà, celle-ci détient la plus grande marine militaire au monde, avec 350 bateaux et sous-marins contre 293 bâtiments pour l’US Navy. Mais elle accuserait encore un retard technologique, ne disposant que de deux porte-avions en activité, contre onze pour la marine étatsunienne.

​Si une loi américaine oblige Washington à aider l’île en cas de conflit, la montée en puissance de l’armée chinoise rend de plus en plus délicates les possibilités d’intervention américaine. Malgré l’obsession chinoise de l’Administration Biden, il n’est pas certain que les États-Unis souhaitent défendre à tout prix Taipei, au risque de déclencher un conflit planétaire. La nouvelle guerre froide sino-américaine est donc parsemée de bluffs, de lignes rouges et d’armements lourds. La guerre est-elle réellement imminente entre Taipei et Pékin? Pour le magazine The Economist, les 160 km de large du détroit de Taïwan, qui séparent l’île du continent, sont actuellement «l’endroit le plus dangereux au monde». Et l’auteur de Piraterie et violences maritimes connexes (Éd. IFRI) n’exclut pas le conflit armé:

«Ça peut être déclenché sans que cela soit vraiment voulu. Les Chinois considèrent que les mers de Chine méridionale et orientale leur appartiennent, surtout la mer de Chine méridionale […] Cela peut très bien dégénérer, il suffirait qu’un garde-côtes chinois fasse usage de ses armes.»

L’ancien capitaine de vaisseau fait ainsi référence à la loi adoptée le 1er février 2021 qui permet aux garde-côtes chinois de faire usage d’armes lourdes dans leurs eaux territoriales. En mars, l’amiral Philip Davidson, dirigeant le commandement américain pour l’Indopacifique, avertissait que l’Empire du Milieu pourrait «tenter d’envahir Taïwan» d’ici à 2030. Son successeur John Aquilino jugeait également cette hypothèse très sérieuse. Fondant ses allégations sur la modernisation de l’APL, ce dernier appelait alors à une augmentation significative du budget du Pentagone. D’ailleurs, les Occidentaux n’hésitent pas à recourir aux opérations de liberté de navigation (FONOPS) afin de franchir ce détroit si périlleux, ne reconnaissant pas la souveraineté chinoise.

Une autre hypothèse, le blocus naval

Si Xi Jinping n’exclut pas de recourir à la force, la Chine a accentué progressivement la pression sur Taïwan, envoyant régulièrement des avions de chasse et des destroyers à proximité de l’île. Pour Joseph Wu, le chef de la diplomatie taïwanaise, Pékin «essaie de créer le chaos à Taïwan», commentait-il dans un entretien accordé à Libération, en évoquant «2.500 sorties chinoises autour de l’île» en 2020.

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Pourtant, le Président chinois a appelé le 1er juillet les «compatriotes des deux côtés du détroit de Taïwan» à travailler ensemble. L’intensification de la pression chinoise va-t-elle conduire Taipei à revenir pacifiquement dans le giron chinois? Selon Hugues Eudeline, la «province renégate» s’est déjà orientée très clairement vers Pékin «au niveau financier», rappelant les nombreuses implantations de firmes taïwanaises sur le continent. «À la place d’une guerre» que chacun redoute, Hugues Eudeline prévoit plutôt la mise en place d’un blocus naval «que les Chinois préparent» déjà, selon lui. Il en veut pour preuve cette nouvelle loi autorisant les garde-côtes à faire feu. Un blocus naval complet qui «pourrait mettre à genoux Taïwan» et permettre la reprise de l’île.

«Le problème, c’est que ça toucherait le commerce mondial. Il ne faut pas oublier que la principale route de navigation passe par là. Il y aurait une réaction du monde entier et ça risquerait également de devenir violent. Les États-Unis ne veulent surtout pas ce scénario, eux qui ont un commerce intense avec l’Asie.»
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