En difficulté dans les sondages, Erdogan précarise la condition des femmes turques pour séduire les conservateurs

La Turquie ne fait officiellement plus partie de la Convention d’Istanbul visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes. Un retrait que le spécialiste de la Turquie Constantin Pikramenos attribue à une stratégie électorale du Président Erdogan pour séduire le camp conservateur, en vue de la présidentielle de 2023.
Sputnik

À compter de ce 1er juillet, la Turquie n’est officiellement plus membre de la Convention d’Istanbul. Une réalité bien ironique pour un sujet bien délicat.

La Turquie quitte formellement un traité sur les violences faites aux femmes

Ce traité, dont Recep Tayyip Erdogan a annoncé vouloir en sortir en mars dernier, a pour vocation de renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes, un problème chronique et extrêmement diffus en Turquie. Émanant du Conseil de l’Europe et signé en mai 2011, il comprend 45 signataires et protège également d’autres minorités, notamment sexuelles. C’est le premier traité international à fixer des normes juridiquement contraignantes pour prévenir la violence sexiste. Le gouvernement turc a expliqué sa décision en soutenant que la Convention d’Istanbul «sape les valeurs familiales» et «normalise l’homosexualité», en raison de son appel à ne pas discriminer selon l’orientation sexuelle. 

Présidentielle de 2023 en ligne de mire

Pour le spécialiste de la Turquie Constantin Pikramenos, la raison de ce retrait serait «purement électorale».

«Erdogan est en chute libre dans les sondages. Il a besoin d’alliés pour la présidentielle de 2023. Or ces potentiels alliés aujourd’hui, hormis les loups gris, ce sont les intégristes et les conservateurs», explique-t-il.

Effectivement, les plus récents sondages ne poussent pas les partisans du Président turc à l’optimisme. Une récente enquête d’Istanbul Economics, un institut de recherche de premier plan, montre que Mansur Yavas, le maire d’Ankara, et Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul, tous deux membres de l’opposition, obtiennent désormais de meilleurs résultats qu’Erdogan dans le contexte présidentiel.

Lorsque l’on sonde les électeurs sur un choix entre l’actuel chef de l’État et Yavas, les résultats montrent que 52,5% d’entre eux voteraient pour Yavas, contre 38,1% qui se prononcent en faveur d’Erdogan. Concernant le maire d’Istanbul, 51,4% le choisiraient et seuls 39,9% d’entre eux voteraient pour Erdogan lors d’une élection présidentielle. Ils lui préféreraient même Meral Aksener, présidente du mouvement de centre droit le Bon Parti (ou IYI), avec 45,4% contre 39,1% pour Erdogan.

Épouser son violeur

Recep Tayyip Erdogan a donc du retard à rattraper. Beaucoup même. Et pour pallier ce retard, celui-ci drague un électorat rigoriste et conservateur. En mars 2020, le parti au pouvoir avait introduit un projet de loi obligeant toute personne violée à épouser son violeur. Cette loi avait déjà été rejetée par le Parlement en 2016.

L'Europe devient «une prison» pour les musulmans, affirme Erdogan

En 2018, la Direction turque des Affaires religieuses (Diyanet), une puissante institution publique, avait été critiquée par l’opposition et des ONG après avoir affirmé, selon plusieurs médiatiques, que les filles pouvaient se marier à partir de l’âge de 9 ans. Elle avait déclaré sur son site officiel que l’âge minimum de mariage était de 9 ans pour les filles et 12 pour les garçons, d’après le quotidien Hürriyet. Cette déclaration, qui se présentait sous la forme d’une note explicative sur la loi islamique, a été retirée du site face à la polémique.

En 2017, une Turquie, qui a pourtant aussi hérité d’une tradition laïque de Mustapha Kemal Atatürk, autorisait le port du foulard islamique pour les femmes qui servent dans les forces armées. Un autre clin d’œil au camp conservateur. 

Augmentation de 7.000% de la violence domestique en quinze ans

Les exemples de ce type, de gravités différentes, sont légion depuis le début de l’actuelle présidence et pourraient être multipliés à longueur de pages. Pourtant, malgré tous ses efforts, notre interlocuteur estime «qu’il sera difficile pour Erdogan» de s’imposer à la présidentielle de 2023. «Il est vraiment à la traîne», considère Constantin Pikramenos.    

La crainte des opposants est de voir les droits des femmes turques en pâtir pour des raisons purement électoralistes. Ceux-ci ont d’ailleurs marché dans les rues de certaines grandes villes ce 1er juillet pour dénoncer ce retrait.

Le mois dernier, un rapport rédigé par Gamze Akkuş İlgezdi, le vice-président du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition, informait d’une augmentation d’environ 7.000 % du nombre de cas de violences à l’égard des femmes au cours des 15 dernières années.

Ce 1er juillet, Amnesty International a expliqué que le retrait de la Convention d’Istanbul ramène les droits des femmes «dix ans en arrière». Pléthore d’ONG promouvant les droits de l’homme ont dénoncé dans des termes plus ou moins similaires ce retrait.

«Certains tentent de présenter notre retrait de la Convention d’Istanbul [...] comme un retour en arrière. Notre lutte contre la violence envers les femmes n’a pas commencé avec la convention et ne prendra pas fin avec ce retrait», s’est défendu Recep Tayyip Erdogan.

Ce dernier a affirmé que la lutte contre les violences visait à «protéger l’honneur de nos mères et de nos filles». Et surtout à remporter l’élection présidentielle de 2023?

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