«La mairie a fait le boulot a moitié: ils ont chassé les toxicomanes du parc mais les ont laissés dans la rue. Je n’ai pas pu emmener mes deux filles à l’école (hier) parce que tous les “crackeurs” étaient assis devant ma porte d’immeuble. J’ai appelé la police, personne n’est venu.»
Pour Émilie, membre du collectif de riverains Stop Crack Éole, la coupe est pleine. Le 17 mai, de nombreux drogués avaient pris leurs quartiers, avec l’aval de la préfecture de police et la mairie de Paris, dans les jardins d’Éole, près de la place de la Bataille-de-Stalingrad.
Depuis le 30 juin, c’est officiellement terminé. Une promesse formulée par Anne Hidalgo: «Le jardin va redevenir un jardin pour les riverains, pour les familles. Il n’y aura plus de toxicomanes», avait-elle déclaré sur LCI.
Pour expliquer ce raté, Émilie affirme que les vigiles ne voudraient pas «se prendre un coup de couteau ou se faire frapper».
Entre «crackeurs» et riverains, la tension atteint son paroxysme
Les deux riveraines concèdent cependant qu’il y a effectivement moins de toxicomanes dans le jardin d’Éole puisqu’ils ont «pris d’assaut toutes les rues adjacentes au parc». «Ils sont tous dehors, devant les écoles, les cafés, les portes d’immeuble. J’ai une fille de 4 ans, elle sait ce qu’est une pipe à crack avec un morceau de crack dessus. C’est choquant», s’emporte Émilie.
«C’est une solution de merde. On s’y attendait en même temps. C’est un beau coup de com’ pour la mairie: dire que l’on a rendu le jardin aux habitants, mais encore faut-il pouvoir y accéder car les gens vont se confiner, ils ne vont pas vouloir sortir de chez eux», estime, désabusée, Audrey.
La membre du collectif Stop Crack Éole constate que la situation s’est particulièrement tendue à la suite de cette décision de la mairie.
«Les toxicomanes sont un peu en errance, assez agressifs car ils n’ont pas retrouvé leurs habitudes et leurs dealers, donc ils sont en manque. On a eu beaucoup de témoignages de riverains qui ont esquivé des coups, voire s’en sont pris, ou qui se font insulter», détaille Audrey.
Une violence dont témoigne le correspondant de Sputnik sur place, qui a également été victime de menaces avec un couteau à lame rétractable. Si cette situation choque les habitants du quartier, ils regrettent surtout que les toxicomanes soient laissés seuls face à leur dépendance au crack, une des drogues les plus dangereuses. Elle peut rendre le consommateur accro en une à trois prises.
«Les associations continuent d’être présentes pour eux mais il n’y a pas de prise en charge pour les sortir de leur addiction, ni de prise en charge sociale, psychologique, ou encore d’accompagnement dans les démarches d’insertion pour les aider au sevrage. Cela n’a pas été annoncé et on ne sait même pas si c’est en projet. Pour l’instant, il n’y a rien», avance Audrey.
Rachida Dati, candidate malheureuse aux élections municipales de 2020 à Paris, s’est d’ailleurs fendue d’un tweet pour dénoncer le «cynisme» de l’édile de Paris. «Anne Hidalgo interdit l’accès des jardins d’Éole aux toxicomanes sans apporter aucune solution de prise en charge. Ils errent aux abords, squattent les immeubles voisins, et les dealers prospèrent dans tout le quartier», a affirmé la maire LR du VIIe.
Dans un échange capté par Sputnik entre Anne Hidalgo et un commerçant, la maire de Paris a rappelé que «l’idée [était] vraiment de récupérer ce jardin et d’obtenir de l’État une prise en charge des toxicomanes». Un moyen pour faire pression?
Une décision unilatérale d’Anne Hidalgo?
En effet, dans une lettre envoyée par Didier Lallement, préfet de police, à Anne Hidalgo, ce dernier écrivait le 25 juin: «Je prends acte de votre décision annoncée publiquement de mettre fin au dispositif Éole le 30 juin, en notant qu’elle n’a pas été concertée avec les services de l’État.»
Une chose est sûre, ce sont les riverains qui sont tributaires de ce possible bras de fer entre l’État et la mairie de Paris. «Tout le monde se renvoie la balle», tonne Émilie.
En outre, elle n’oublie pas de pointer le rôle de la préfecture de police qui ne s’attaque pas suffisamment aux démantèlements des cuisines à crack. «Plusieurs personnes ont dit aux policiers où elles se trouvaient, elles y sont encore», raconte Émilie.
«Où voulez-vous qu’ils aillent, les toxicomanes ? Ils vont choisir le circuit court et rester autour des cuisines», résume-t-elle.
De son côté, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a fait valoir sur LCI que «l’État met les moyens»: «les opérations de police» dans le quartier ont été «quadruplées», avec «en moyenne cinq opérations par jour», et le nombre de CRS porté à 60.
Une énumération loin de convaincre les riveraines qui remarquent que leur quartier est «encore une zone de non-droit» puisque «les gens continuent de vendre de la drogue sous le nez de la police sans qu’il ne se passe rien».
«On veut récupérer notre quartier», résume tout simplement Audrey.