«D’ici septembre, ce sont plus de 21.000 personnes qui seront dans une situation de famine. Le nombre de personnes qui sera en “détresse” va également augmenter, si on ne fait rien.»
L’heure est grave, prévient au micro de Sputnik Volantiana Raharinaivo, chargée de communication de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, une agence spécialisée des Nations Unies. Actuellement dans le district le plus touché, Amboasary Atsimo, 14.000 personnes, soit 5% de sa population, sont en situation de «catastrophe», phase 5 de la classification de la sécurité alimentaire. En clair, victimes de la famine.
Or, ce sont près de 400.000 personnes qui sont exposées à un risque immédiat de famine et un million et demi qui souffrent de malnutrition. Signe de la détresse d’une partie des habitants, Gail Borgia, une journaliste malgache, a filmé lors d’un reportage une femme faisant bouillir de la peau de Zébu avec du sel pour nourrir sa famille.
Une vidéo qui a ému les internautes, mais a provoqué l’ire du gouvernement en place, qui a accusé la journaliste d’avoir mis en scène ce moment.
Luttes pour les denrées alimentaires
D’autres Malgaches du Sud se résignent pourtant parfois à manger des criquets, des feuilles de cactus et même de la boue, a alerté David Beasley, responsable du Programme alimentaire mondial dans le pays. Après s’être rendu sur place, le responsable de l’Onu a fait part d’une «situation très dramatique», précisant même que «cela ressemblait à ce que vous voyez dans un film d’horreur.»
Une crise d’autant plus préoccupante qu’il s’agit du premier pays au monde à expérimenter la faim à cause du réchauffement de la planète. «Ce sont vraiment les populations qui sont les moins responsables de la crise climatique qui sont touchées de plein fouet», dénonce Hélène Botreau, chargée de plaidoyer sécurité alimentaire chez Oxfam, dans un entretien accordé à Sputnik.
«Dans la région grand sud de Madagascar, ce sont des personnes qui dépendent du travail de la terre, pour beaucoup d’agriculteurs et d’agricultrices. Les extrêmes climatiques qui tendent vers des sécheresses ont des impacts très forts sur leurs moyens de subsistance», détaille Hélène Botreau.
Volantiana Raharinaivo indique d’ailleurs qu’une aide d’urgence se met en place, mais rencontre des problèmes inattendus. Et pour cause, les camions sont confrontés à de «nombreuses difficultés pour acheminer les vivres à cause de l’état des routes, mais également en termes de sécurité: des bandes ont attaqué les convois.» De plus, les populations bénéficiant de cette aide alimentaire sont «parfois elles aussi attaquées sur la route». Pour éviter les risques, «ils préfèrent recevoir la distribution d’aliments déjà cuits, qu’ils mangent sur place, donc c’est quelque chose qui n’est pas viable», explique la chargée de communication de la FAO.
Répercussions imminentes du réchauffement sur le cycle de l’eau
Elle plaide donc pour des «solutions durables» pour que ces populations puissent s’adapter à la sécheresse. À l’image de projet comme «Pro-acting», qui a bénéficié à 20.000 familles. Une adaptation qui passe notamment par «l’agriculture à cycle court, avec l’élevage de petits ruminants par exemple». Ou encore en pratiquant la pêche: «dans le sud, cette activité était “tabou” maintenant ils sont en train de casser ce code», constate Volantiana Raharinaivo.
«On est en train de leur enseigner notamment tout ce qui a trait à la sécurité en mer (gilet, pirogue, etc.), et comment réaliser des équipements pour faire du fumage afin de conserver les poissons plus longtemps», se réjouit Volantiana Raharinaivo.
Un apprentissage nécessaire puisque «ce genre de sécheresse est amenée à se produire plus fréquemment et de manière plus intense dans les années qui viennent», prévient au micro de Sputnik Hervé Douville, chercheur en climatologie au Centre National de Recherches Météorologiques de Météo-France. Cependant le chercheur, qui est aussi l’auteur coordinateur du chapitre VIII du prochain rapport du GIEC sur le cycle de l’eau, prévient:
«Il n’est pas dit que les pluies diminueront sur le long terme sur l’île de Madagascar, mais on aura plus de variabilité dans la pluviométrie d’une année sur l’autre. C’est-à-dire qu’on prévoit plus d’évènements précipitants intenses et plus de sécheresse. Des phénomènes qui sont également valables pour d’autres régions comme la France, par exemple.»
«C’est l’une des inquiétudes majeures liées au réchauffement global de la planète, ce sont les répercussions sur le cycle de l’eau, avec finalement plus de volatilité des ressources en eau et plus de gestion de la ressource», poursuit-il.
Limiter le réchauffement climatique
Des éléments que redoute Hélène Botreau. Selon elle, il faut limiter la hausse du réchauffement de la planète à de 2 °C, voire 1,5 °C supplémentaire, par rapport à l’ère préindustrielle. Selon un brouillon du GIEC, révélé par l’APF, même en tenant cet objectif de 2 °C, «on aurait quand même 80 millions de personnes supplémentaires qui auraient faim d’ici 2050», prédit Hélène Botreau.
«Actuellement, même avec un réchauffement de 1,1 °C, on assiste déjà à ce genre de phénomène climatique extrême dans plusieurs régions du monde et même des pays sur lesquels les effets étaient moins visibles. On voit par exemple le dôme de chaleur extrême qui va avoir une incidence sur l’agriculture dans le nord-ouest des États-Unis et sud-ouest du Canada», observe la membre d’Oxfam.
Autant de données qui poussent donc la chargée de plaidoyer Sécurité alimentaire à demander la mise en place de mécanismes de protections sociales universelles, davantage de financement de la part des pays les plus riches, «qui ont une responsabilité notable dans les dérèglements climatiques.» Ou encore, le développement de modèles agricoles qui soient plus vertueux et qui peuvent améliorer l’adaptation au changement climatique comme l’agro-écologie.