«La stratégie de la Hongrie dans l’UE, c’est une stratégie du faible au fort»

La loi hongroise interdisant «la promotion de l’homosexualité» a provoqué un tollé chez de nombreux dirigeants européens, à l’occasion du Conseil européen les 24 et 25 juin. Selon l’essayiste Thibaud Gibelin, cette loi controversée est toutefois plébiscitée par la population hongroise.
Sputnik
«Les Hongrois aimeraient changer l’Union européenne de l’intérieur, mais charité bien ordonnée commence par soi-même. Ils souhaitent d’abord sanctuariser la Hongrie et l’espace centre européen», considère Thibaud Gibelin auteur de «Pourquoi Viktor Orban joue et gagne: Résurgence de l'Europe centrale» (Ed. Fauves).

En effet, Budapest maintient son cap: «La Hongrie ne veut pas quitter l’UE. Au contraire, nous voulons la sauver des hypocrites», a rétorqué la ministre hongroise de la Justice, Judit Varga. Si la question de la sortie de la Hongrie de l’Union européenne a été évoquée, c’est parce que Viktor Orban, son Premier ministre, a essuyé le feu nourri des chefs d’État et de gouvernement européens suite à l’adoption de la loi interdisant la «promotion de l’homosexualité» auprès des mineurs.

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Dès son arrivée au Conseil européen le 24 juin, Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, lui a asséné que Budapest n’avait «plus rien à faire dans l’Union européenne». Tout le contraire de ce que pense la Hongrie et plus largement le groupe de Visegrad (Tchéquie, Pologne, Hongrie, Slovaquie). Il s’agit pour Thibaud Gibelin d’un «maul de résistance» qui tente d’étendre son «influence qu’il prétend bénéfique».

Une loi qui répond à des objectifs électoraux

Pourtant, c’est bien pour des motifs purement intérieurs que cette loi controversée a été promulguée en Hongrie, constate l’essayiste:

«Viktor Orban se trouve aujourd’hui dans une situation très périlleuse avec les élections générales au printemps prochain, avec des difficultés économiques évidentes. En adoptant cette loi qui consiste très simplement à donner aux parents le plein pouvoir sur l’éducation sexuelle réservée aux enfants, celui-ci a mis en place quelque chose que l’opinion publique hongroise plébiscite», rapporte Thibaud Gibelin.

Et l’essayiste de comparer à front renversé cette stratégie politique au mandat de François Hollande (2012-2017) où les «questions sociétales se sont imposées» à l’agenda, à défaut d’appliquer ses promesses de campagne. C’était le cas de la loi Taubira qui a étendu en 2013 le mariage aux couples de même sexe. Ainsi, la population hongroise est «très largement imperméable» à ces questions de genre, ce dont le leader populiste a profité pour aspirer à «l’unité nationale hongroise».

Un conflit idéologique est-ouest

Emmanuel Macron ne s’y est d’ailleurs pas trompé en dressant un constat lucide du fossé des valeurs entre l’est et l’ouest. Le 25 juin, le Président français estimait que la «montée de l’illibéralisme dans les sociétés post-communistes» n’était pas le fait «de quelques dirigeants» mais bien la «tendance profonde» dans ces peuples. En appelant à «renforcer notre position dans l’opinion publique et les médias», le locataire de l’Élysée a donc appelé à une contre-offensive idéologique. Cette question des valeurs est pour l'Europe «existentielle, principielle», a-t-il déclaré, craignant de voir ces populations d’Europe centrale attirées par des modèles russes ou chinois.

«On doit réengager un travail avec les intellectuels des sociétés civiles, être plus présent dans la presse de ces pays, mieux soutenir ceux qui défendent les idées européennes, nous avons besoin d'une stratégie en la matière», a-t-il plaidé.

Excluant toute procédure d'exclusion ou de sanction financière, le Président français a déclaré soutenir la procédure engagée par la Commission.

Depuis 2010, le Fidesz, le parti de Viktor Orban, règne sans discontinuer sur le parlement hongrois. Ce dernier a modifié en profondeur la vie politique, en adoptant une nouvelle constitution en 2011 et faisant de l’illibéralisme sa ligne de conduite. «La stratégie de la Hongrie dans l’UE, c’est une stratégie du faible au fort», résume l’essayiste qui évoque des résultats électoraux plus nets qu’à l’ouest. Car sur le plan économique et démographique, la disproportion est effectivement béante entre Budapest et notamment Paris. Avec 163,5 milliards de dollars, son PIB ne représentait en 2019 que 6% du PIB français et 14% de la population française. Budapest est ainsi un «important bénéficiaire net», avec un excédent de subventions de cinq milliards d’euros par rapport à sa contribution en 2018 au budget européen. Les fonds européens représentent une manne importante pour la Hongrie (4,48% du produit national brut en 2019).

Tant que les prérogatives des États membres ne sont pas remises en cause au profit d’un fédéralisme bruxellois progressiste, les Hongrois n’auraient donc pas d’intérêt immédiat à abandonner l’Union européenne. «Ils ne veulent pas quitter l’UE parce qu’ils ne veulent pas se retrouver isolés», conclut Thibaud Gibelin.

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