«C’est beaucoup de colère, d’incompréhension, mais aussi un peu de culpabilité de ne pas en avoir fait plus.»
Pour Laurent Frémont, le drame de n’avoir pu rendre visite à son père s’ajoute à la tragédie de l’avoir perdu en novembre dernier, après 17 jours d’hospitalisation. Une déchirure pour le jeune homme de 29 ans qui a assisté impuissant à la «solitude contrainte» de son papa dans une clinique privée.
Dans une tribune publiée dans Marianne, il laissait d’ailleurs entrevoir la difficulté de cette épreuve: «Des tentatives désespérées pour apercevoir notre père, ne serait-ce que derrière une vitre. Des heures de patience vaine devant les portes désespérément closes du service. Des journées suspendues à notre téléphone, à guetter un appel qui n’arrivera que trop tard, pour annoncer que c’est fini», écrivait-il.
Une expérience traumatisante
Comme lui, ce sont «près de 10.000» Français qui ont subi cette expérience douloureuse, témoigne Laurent Frémont au micro de Sputnik. Du côté du ministère de la Santé, afin d’éviter de nouvelles tragédies, une circulaire sur le droit de visite est en cours d’élaboration, confie le secrétaire général du collectif. «On devrait avoir des informations sur le contenu la semaine prochaine», espère-t-il. Néanmoins, «pour son application, on ne sait pas vraiment combien de temps cela va prendre, mais c’est une bonne première étape», précise Laurent Frémont.
Une situation consécutive à la décision des gestionnaires d’établissements de santé, qui interdisent aux proches de rendre visite aux patients depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Autant de drames personnels que dénoncent les proches de défunts.
Avec la comédienne Stéphanie Bataille, qui a également perdu son père, mort du Covid-19, sans qu’elle ait pu l’approcher pendant plusieurs jours, ils ont fondé le collectif «Tenir ta main». Leur objectif: tenter de remédier à cette injustice qui perdure, malgré l’amélioration de la situation sanitaire.
L’arbitraire des directeurs d’établissement
Comme le constate Laurent Frémont, les modalités pour rendre visite à un proche restent «très variables», selon «les services ou d’un établissement à un autre». Néanmoins, «beaucoup de services, Covid-19 ou non, restent fermés», déplore le secrétaire général du collectif «Tenir ta main».
«On appelle donc à une clarification des choses. On a peur que ce comportement s’installe dans les mois et années à venir, hors de tout contexte pandémique.»
Il craint en effet que les établissements de santé se complaisent dans cette situation: «les familles posent des questions, ça demande du temps au personnel», avance Laurent Frémont. «Pendant ces derniers mois, il y a eu beaucoup de soignants, de gestionnaires qui se sont rendu compte que c’était bien pratique, parfois, de laisser les familles à l’écart», estime-t-il.
En avril dernier, Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, s’est attaqué à cette potentielle dérive en déposant une proposition de loi visant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent dans les établissements de santé. «La logique sanitaire et les protocoles l’ont malheureusement trop souvent emporté sur l’humanité. Le rite de l’adieu, c’est ce qui fonde la civilisation, et il a été volé. C’est essentiel pour celui qui va mourir de voir ses proches», a souligné le parlementaire dans une interview donnée à Public Sénat. C’est pourquoi il faut selon lui «réaffirmer un droit de visite le plus régulier possible, tout comme pour l’accompagnement de la fin de vie, qui n’est pas négociable.»
Une position que partage Laurent Frémont:
«Le droit de visite est reconnu dans la charte du patient, mais il n’y a rien aujourd’hui qui est fait pour le rendre effectif. En effet, les directeurs d’établissement ont ce que l’on appelle un pouvoir de police qui leur permet de restreindre les visites et ce pouvoir n’est pas encadré aujourd’hui.»
Une chose est sûre: le combat est loin d’être terminé pour le collectif, prévient-il: «On veut donner la parole à tous ceux qui ont été victimes de ces dérives depuis la pandémie et ils sont très malheureusement très nombreux.»