Pour l'avocate du général Ghediri, en prison sans procès depuis deux ans en Algérie, des questions persistent

Dans un entretien à Sputnik, Me Slimi, avocate du général Ali Ghediri, ex-candidat à la présidentielle algérienne, «arbitrairement» détenu sans procès depuis juin 2019, appelle le Président Tebboune à reconsidérer son cas, à l’instar des généraux Toufik, Nezzar et Tartag, de Louisa Hanoune et Saïd Bouteflika.
Sputnik

Cela fait exactement deux ans que le général-major à la retraite, le Dr Ali Ghediri, ex-candidat à la présidentielle algérienne de décembre 2019, est «incarcéré arbitrairement». Son procès n’est toujours pas programmé malgré l’insistance de son collectif de défense.

Alors que 273 militants du Hirak algérien sont détenus, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), les ONG des droits de l’homme qui les défendent pour les sortir de prison, comme elles l’ont fait pour d’autres, n’évoquent pratiquement pas le cas du général Ghediri.

Au lendemain des élections législatives, le collectif de défense espère que le Président algérien, premier magistrat du pays et chef suprême des Forces armées, reconsidérera le cas de leur client.

Pour plus d’informations sur l’état de santé du Dr Ghediri et l’avancement de son action en justice, Sputnik a sollicité Me Nabila Slimi, membre du collectif de défense. Elle lance un appel à Abdelmadjid Tebboune «pour mettre fin à cette ignominie qui ternit l’image de la justice et de l’armée algériennes et fait porter, in fine, le chapeau de la responsabilité au chef de l’État lui-même».

Que reproche-t-on au général Ghediri?

«Le Dr Ghediri qui s’estime comme "un confiné politique" était l’un des hauts cadres de l’Armée nationale populaire (ANP) qu’il a servie durant 42 ans, et dont il avait occupé en fin de carrière le poste stratégique de directeur des ressources humaines au ministère de la Défense nationale», rappelle Me Slimi, assurant que «le dossier de notre client est absolument vide».

L’avocate informe que son client était poursuivi lors de son arrestation en juin 2019 pour deux chefs d’accusation: «le premier pour haute trahison, le deuxième pour atteinte au moral des troupes de l’ANP». «Le premier chef a été abandonné en juin 2020 par la chambre d’accusation; reste pour l’instant le second», précise-t-elle.

Tout est parti d’un entretien accordé le 25 décembre 2018, soit deux mois avant le début du Hirak le 22 février 2019, par le Dr Ali Ghediri au journal El Watan. Dans celui-ci, il évoquait le rôle que devrait jouer l’ANP pour accompagner un changement politique calme et serein dans un cadre strictement constitutionnel. Le général Ghediri s’était exprimé «dans une situation gravissime» pour l’Algérie, marquée par une «déconfiture des institutions» sur fond de maladie et d’absence, depuis 2013, de l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika, pour qui de surcroît un cinquième mandat était en préparation, rappelle-t-elle.

«Seule l’armée, en l’état actuel des choses et face à la déliquescence des autres institutions et au conditionnement dans lequel est mise l’administration, serait capable d’empêcher les uns et les autres de toucher aux urnes pour frauder et faire passer leur candidat. Je reste convaincu que [feu] le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah [chef d’état-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense à l’époque, ndlr] ne permettra à qui que ce soit de violer d’une manière aussi outrageuse la Constitution», avait déclaré le général Ghediri à El Watan.

«C’est ce paragraphe tiré de l’entretien d’El Watan qui figure comme chef d’accusation dans le dossier du général Ghediri et pour lequel il sera jugé au pénal par un tribunal civil», affirme Me Slimi.

Dans le même entretien à El Watan, le général-major Ali Ghediri avait également affirmé qu’il n’imaginait pas que «le général de corps d’armée Gaïd Salah puisse permettre à [certaines parties mal intentionnées, ndlr] de transcender ce qui est prescrit par la Constitution pour assouvir leur désir, leur instinct et leurs ambitions». «Je peux aussi affirmer qu’il recèle suffisamment de bon sens et surtout de patriotisme et qu’à ce titre, d’instinct, il ne saurait terminer toute une vie consacrée au service de la nation pour sortir de l’histoire par la petite porte, rien que pour faire plaisir à des aventuriers dont l’unique objectif est de rester au pouvoir et de profiter de la rente», avait-il ajouté.

Pourquoi libérer les généraux Toufik et Nezzar, mais pas Ghediri?

À ce titre, Me Nabila Slimi évoque «deux cas édifiant de l’injustice incompréhensible et moralement injustifiée que subit le Dr Ghediri, à savoir ceux des généraux Mohamed Lamine Mediène dit Toufik [ex-patron durant 25 ans (1990-2015) des services de renseignement algérien (DRS), ndlr] et Khaled Nezzar [ex-chef d’état-major de l’ANP (1988-1990) puis ex-ministre de la Défense nationale (1990-1993), ndlr]».

Et d’expliquer que «le général Toufik avait été arrêté en juin 2019 en compagnie du frère cadet de l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika, Saïd, de la secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT) Louisa Hanoune et du général Athmane Tartag, dit Bachir [coordinateur des services de sécurité algériens au sein de la présidence de la République (2016-2019), ndlr]. Les quatre ont été condamnés en septembre de la même année à 15 de prison ferme par le tribunal militaire de Blida pour "complot ayant pour but de porter atteinte à l’autorité militaire et de complot contre l’autorité de l’État"».

Par ailleurs, elle indique que «le général Khaled Nezzar a été également condamné par contumace en septembre 2019, dans le cadre de la même affaire de "complot contre l’autorité de l’État" et "de l’armée", à 20 ans de prison ferme». Dans le même sens, elle rappelle que ce dernier, qui a assuré que le procès et le mandat d’arrêt international émis à son égard «étaient une affaire politique montée de toutes pièces par l’ancien pouvoir», avait appelé en août 2019 dans une vidéo publiée sur You Tube «ses camarades militaires à se révolter contre l’autorité de feu le général Gaïd Salah, ex-chef d’état-major de l’ANP à l’époque».

Ainsi, «comment expliquer que les généraux Toufik et Tartag, Louisa Hanoune et Saïd Bouteflika aient été tous blanchis en décembre 2020 par la Cour suprême et remis en liberté dans le cadre de cette affaire et pas le général Ghediri, qui croupi en prison depuis deux sans même avoir le droit à un procès équitable?». Et d’ajouter que «le général Nezzar a non seulement été disculpé par la justice militaire qui a abandonné les charges contre lui, mais il est même rentré avec les honneurs militaires de l’étranger à bord d’un avion présidentiel».

Appel au Président Tebboune

«Le Dr Ali Ghediri, qui est victime d’un acharnement judiciaire, est accusé à tort et sans la moindre preuve matérielle d’avoir été le poulain du général Toufik pour les élections présidentielles de 2019. On a tout fait pour salir sa réputation alors qu’il avait mis au défi quiconque pouvant prouver ces allégations», souligne Me Slimi. «Nous pensons que ce sont ces accusations et la peur de sa candidature à la présidentielle qui sont les vraies raisons de son maintien arbitrairement en prison.»

Enfin, «tout en se félicitant du fait que la justice se soit rétractée dans les cas de ces trois officiers généraux, de la présidente du PT et de Saïd Bouteflika, estimant que leurs dossiers étaient vides et qu’ils ont été injustement condamnés», l’avocate appelle le «Président Tebboune, en tant que premier magistrat du pays et chef suprême des Forces armées, à se pencher sur le cas du général Ghediri».

Il n’est pas normal que cet ex-officier supérieur, «un des meilleurs enfants de l’Algérie, qui a son nom gravé en or sur le mur de l’école militaire de la marine de Saint-Pétersbourg, qui ne cherche qu’à rentrer chez lui et à se consacrer à sa famille, croupisse encore en prison».

«Sa libération serait un important signe de changement du système, d’apaisement et réconciliation dont a cruellement besoin notre pays, dans un de ces moments les plus difficiles de son histoire», conclut-elle.
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