Nanosciences et nanotechnologies, un développement fulgurant dont «le revers de la médaille est à surveiller de près»

Dans un entretien à Sputnik, le Dr Farid Benyahia, politologue et coauteur d’un ouvrage sur les nanosciences et les nanotechnologies, revient sur l’évolution de ces domaines au cours des 30 dernières années. Mettant l’accent sur leurs avantages et leurs dangers, il propose la création d’une agence onusienne de contrôle.
Sputnik

Depuis plus d’une trentaine d’années, les nanosciences et les nanotechnologies connaissent un fulgurant essor, notamment depuis la mise à la disposition des chercheurs de nouveaux outils d’élaboration, d’observation et d’analyse. Ces domaines sont devenus des secteurs stratégiques de la recherche et du développement dans pratiquement tous les pays avancés et émergents.

Les nanosciences, qui relèvent à la fois des domaines de la physique atomique et de la physique de la matière, sont devenues incontournables dans les secteurs de l’informatique, des télécommunications, de la médecine, de la biologie, des matériaux, de la chimie, de l’énergie, de l’armement et de l’environnement.

Par ailleurs, les nanotechnologies, c’est-à-dire la mise en application des concepts et procédés des nanosciences, ont d’ores et déjà de larges domaines d’application en médecine, dont récemment dans le développement des vaccins anti-Covid, mais également en microélectronique et dans le domaine des matériaux, en biotechnologie, en photonique ou encore dans les technologies de l’information.

Outre les avantages que présentent ces sciences et technologies, y a-t-il des dangers à prendre en considération, notamment dans le secteur de la biotechnologie et de la médecine? De quelles façons ces dangers peuvent-ils se manifester dans les différents domaines, en particulier dans le vivant et chez l’être humain? Est-il nécessaire de mettre en place une charte d’éthique et de déontologie? Enfin, les nanosciences et les nanotechnologies peuvent-elles aider au développement de l’Afrique et du Maghreb? Si oui, quel est le potentiel dans ces régions?

Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le Dr Farid Benyahia, politologue et coauteur avec Bruno Bernard, financier belge et lobbyiste accrédité au Parlement européen, de l’ouvrage «Les nanosciences et nanotechnologies, leurs applications dans les domaines industriel et économique», paru en 2015.

Que veut-on dire par nanosciences et nanotechnologies?

«Les nanosciences et les nanotechnologies, ce sont les domaines des recherches fondamentales et technologiques menées à l'échelle nanométrique [10-9 mètre, soit un milliardième de mètre, ndlr]», expose le Dr Benyahia.

«Il s'agit de l'ensemble des connaissances fondamentales et des techniques grâce auxquelles on crée, manipule, visualise et utilise des objets (matériaux, organismes vivants ou machines) qui sont de l'ordre du nanomètre».

Afin de mieux expliquer le concept de nanosciences et de nanotechnologies, l’expert rappelle le discours tenu le 29 décembre 1959 à la Société américaine de physique par Richard Feynman, l’un des grands physiciens des particules ayant marqué le XXe siècle, lors duquel il a évoqué «un domaine de la physique dans lequel peu de choses ont été faites, et dans lequel beaucoup reste à faire».

Partant des dimensions minuscules des atomes et des molécules, Feynman a émis sa célèbre hypothèse prémonitoire du développement de ces domaines: «Pourquoi ne pourrions-nous pas écrire l’intégralité de l’Encyclopædia Britannica sur une tête d’épingle?». Il avait imaginé un espace tout à fait accessible à l’expérience humaine «où les atomes et les molécules seraient manipulés un par un et agencés en structures cohérentes de très petite taille».

«Nous y sommes!», s’exclame Farid Benyahia. «Depuis l’invention en 1981 du microscope à effet tunnel [qui permet de déterminer la morphologie et la densité d’états électroniques des surfaces conductrices ou semi-conductrices en utilisant un phénomène quantique, l’effet tunnel, ndlr], un boom a été observé dans ces deux domaines. Puis il y a également l’invention du microscope à force atomique qui est un dérivé de celui à effet tunnel qui permet de visualiser les matériaux non conducteurs».

«Les possibilités fournies par ces deux microscopes combinées aux techniques de la photolithographie [l'ensemble des opérations permettant de transférer une image vers un substrat, ndlr] permettent d’observer, de manipuler et de créer des nanostructures», ponctue-t-il.

«Le revers de la médaille à surveiller de près»

Comme toute idée ou science, en fonction de l’usage que l’on en fait, «il y a toujours le revers de la médaille à surveiller de très près», avertit le Dr Benyahia.

En effet, selon lui, «outre les avantages que présentent les nanosciences et les nanotechnologies en termes de développement scientifique fondamental et technologique, notamment concernant la qualité des produits destinés à la consommation (moins coûteux, plus solides et plus efficaces), il n’en demeure pas moins que dans des secteurs comme la biologie, la biophysique, l’industrie cosmétique et la médecine, la vigilance et la surveillance doivent être observées avec le plus haut degré de sérieux et de fermeté».

Et d’expliquer que dans ces secteurs, «il s’agit de manipuler, de contrôler et de créer des organismes vivants capables de se multiplier et de se répliquer par eux-mêmes rapidement et à grande échelle, comme les virus et les bactéries. Ces derniers peuvent causer des ravages cataclysmiques sur l’homme et l’environnement, même si au départ ils ont été créés pour rendre service à l’humanité». Dans le même sens, le Dr Farid Benyahia rappelle qu’au «niveau nanométrique, la forte capacité pénétrante qu’ont les nanoparticules à l’égard des tissus cellulaires [en raison de leurs faibles dimensions par rapport aux cellules (un virus a une taille entre 10 à 100 nanomètres), ndlr] elles peuvent outrepasser certaines barrières naturelles et causer d’énormes dégâts».

​Ainsi, afin de pallier ce risque, le Dr Benyahia propose «de créer une agence internationale chapeautée par l’Onu qui se chargerait de suivre, de contrôler et d’imposer des conditions de sécurité aux produits destinés à la consommation». Pour lui, «il est nécessaire que des experts de haut niveau et de tous les pays se penchent sur la question du développement d’instruments fiables de contrôle-qualité de tous les produits de consommation intégrants des nanotechnologies. Une charte de déontologie devrait être proposée pour adoption par tous les pays qui devraient consentir à créer des agences nationales affiliées à celle de l’Onu».

Quid du développement en Afrique?

Concernant l’application des nanosciences et des nanotechnologies pour aider les pays africains à diversifier leurs économies et à leur insuffler une importante dynamique de croissance, Farid Benyahia avance que «si les conditions de contrôles sont réunies, il est tout à fait clair que ces deux domaines recèlent d’énormes potentiels de développement, notamment dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, de la médecine et de l’industrie pharmaceutique».

«Les nanosciences et les nanotechnologies ne nécessitant pas beaucoup de moyens financiers, en dépit des instruments requis», Farid Benyahia juge que «les pays africains, comme ceux du Maghreb, peuvent créer des agences régionales qui draineront et mettront ensemble des chercheurs et des ingénieurs venant des quatre coins du continent pour développer des technologies adaptées aux besoins pressants, dans l’industrie, l’agriculture, la technologie spatiale et l’énergie renouvelable dont le nucléaire».
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