Justin Bieber à l’Élysée: «Le coup de com’ ne remplace pas la politique»

Au lendemain des régionales et du record d’abstention, en particulier chez les plus jeunes, Emmanuel Macron recevait à l’Élysée le chanteur Justin Bieber. Un coup de com’, analyse Arnaud Benedetti: même la meilleure des communications ne peut nier «le réel» et ses «déterminants sociopolitiques».
Sputnik

«Le dimanche, la majorité présidentielle est désavouée par le vote des régionales, en particulier par les moins de 24 ans. Et le lendemain, le chef de l’État poursuit sans fléchir la même stratégie de com’ à destination des jeunes», déplore à notre micro le professeur Arnaud Benedetti au sujet de la rencontre de ce lundi 21 juin. 

Le jour de la Fête de la musique, la vedette internationale Justin Bieber en voyage à Paris a décidé de rendre une visite de courtoisie au Président de la République. Sur la photo publiée sur son compte Instagram, on peut voir la star des adolescents poser, bras dessus, bras dessous, avec le locataire de l’Élysée et Brigitte Macron, en costard et baskets, accompagné de son épouse la mannequin Hailey Baldwin.

​Une rencontre avec le couple présidentiel sollicitée par le chanteur lui-même, d’après BFM TV, qui s’est poursuivie par une discussion sur la jeunesse et le climat. Pour Arnaud Benedetti, professeur d’histoire de la communication à la Sorbonne, cet événement, aussi futile soit-il, témoigne de l’absence de prise en compte au plus haut niveau de l’État «du contexte actuel»: celui d’un «climat électoral inquiétant et d’une défaillance démocratique face une abstention record».  

Une stratégie payante?

Ces coups d’œil appuyés à la jeunesse ne sont pas les premiers d’Emmanuel Macron. À l’approche de l’élection présidentielle, le chef de l’État entreprend de séduire davantage cette cible. Le vendredi 4 décembre dernier, il répondait aux questions des internautes sur Brut, un média web très en vogue chez les 18-24 ans. Une première pour une interview présidentielle.

​Depuis, les appels du pied aux primo électeurs, en particulier sur leurs canaux de communication, s’enchaînent. De l’envoi de son Premier ministre sur l’émission Twitch de Samuel Étienne au mois de mars jusqu’à sa récente promotion du Pass Culture sur TikTok en mai dernier. 

«L’échec électoral de dimanche n’a pas vraiment refroidi cette stratégie, diagnostique Arnaud Benedetti. Avec son entourage, le Président pense sans doute qu’en travaillant sur la longueur, et en particulier les prochains mois, ils arriveront peut-être à faire d’un potentiel de confiance ou de sympathie –dont le créditent un certain nombre de sondages en direction de cette cible sociologique– une réalité électorale.»

Une stratégie qui avait atteint son paroxysme avec l’épisode polémique et largement commenté depuis de la participation du chef de l’État à un concours d’anecdotes à l’Élysée avec les deux YouTubeurs McFly et Carlito. Accusée d’avoir désacralisé la fonction présidentielle, l’entreprise se voulait néanmoins payante électoralement. 

«Sauf qu’un mois après, les élections régionales montrent une désaffection de la population et en particulier des jeunes. La fameuse vidéo en question n’a donc pas vraiment poussé ces derniers ce dimanche à aller voter pour la majorité présidentielle», répond Arnaud Benedetti.

Et l’expert en stratégie de communication des politiques de rappeler que ce dimanche 20 juin, premier tour des élections régionales, 87% des 18-24 ans et 83% des 25-34 ans se sont abstenus d’aller voter.

Le politique et la com’ 

En ce lendemain de l’échec des élections régionales pour la majorité, l’heure n’est pourtant pas au changement de cap du côté du gouvernement. Concernant la campagne de communication menée auprès des jeunes, tout au moins.

En faisant sa comm’ avec McFly et Carlito, Macron prend le risque de désacraliser le politique
La démobilisation massive de cet électorat a vraisemblablement plutôt convaincu le gouvernement d’accélérer son entreprise de séduction. 

Selon une information du Figaro, Marlène Schiappa, en lien avec le service d’information du gouvernement (SIG), mettra sur pieds une campagne de communication sur les réseaux sociaux pour pousser les jeunes à aller voter au second tour. Pour Arnaud Benedetti, cette énième entreprise démontre peut-être quelque chose de plus grave. À savoir qu’au plus haut niveau de l’État, la communication se suffit à elle-même:

«Macron pense finalement remplacer la politique par la communication. Selon moi, les processus de mobilisation politique sont beaucoup plus complexes que ces tentatives actuelles de communication. Ce qui continue à déterminer une potentielle orientation électorale, ce sont avant tout des déterminants sociopolitiques», souligne notre interlocuteur.

Et Arnaud Benedetti de conclure: «Il arrive un moment où le réel refait toujours son apparition.» Le 8 juin dernier, giflé par le militant des gilets jaunes Damien T., le Président a-t-il déjà payé le prix d’une désacralisation du politique?

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